Tenet est attendu à plus d’un titre. Les exploitants de salles de cinéma misent gros sur l’unique blockbuster hollywoodien à sortir cet été alors que les cinéphiles se réjouissent de découvrir la dernière œuvre de Christopher Nolan, un réalisateur apprécié pour ses thrillers aux concepts originaux et stimulants. Est-ce que les deux parties seront satisfaites ? Pas sûr…


Tenet revient de loin. Il n’était pas gagné que cette énorme production américaine – on parle de plus de 200 millions de dollars – puisse sortir alors que le « marché » cinématographique est encore tout groggy des conséquences de la crise sanitaire. Et pourtant les producteurs, confiants, ont parié sur l’opportunité d’être la seule grosse sortie estivale. Le film serait-il suffisamment bon et rassembleur pour que les spectateurs se déplacent en masse et bravent les risques de contamination ? Oui mais non.


N’y allons pas par quatre chemins : Tenet est une œuvre radicale qui s’adresse aux fans de James Bond et de science-fiction. Alors que le cinéma regorge de références sur le voyage temporel et tous les paradoxes que cela peut engendrer, Tenet est construit autour d’un concept plutôt inédit : certains objets peuvent parcourir le temps en sens inverse. Difficile de décrire sur le papier cette idée que seul le cinéma peut vraiment bien illustrer. Et il faut bien tout le talent et l’expérience de Christopher Nolan pour construire cet univers sidérant. Depuis les prémices de sa filmographie, il n’a de cesse de distordre et déconstruire la temporalité dans ses films. Dans Memento, Nolan plongeait le spectateur dans la peau d’un héro amnésique en narrant une histoire à l’envers. Dans Inception, le récit se dispersait entre rêves et réalité où la perception du temps n’est pas la même. Enfin, dans Interstellar, les personnages expérimentaient les caprices de la force de gravité sur l’écoulement du temps. Tenet encapsule toutes ces obsessions et prend des airs de film somme. Le récit y est pourtant extrêmement linéaire du point de vue du protagoniste. On y suit un agent secret chargé d’enquêter sur de mystérieuses armes semblant provenir du futur pour attaquer le passé. C’est uniquement par sa forme, ses idées de mise en scène et des artifices dignes de Georges Méliès que le réalisateur parvient à construire un gigantesque palindrome cinématographique tant dans l’espace que dans le temps. Embarqué dans ces montagnes russes vertigineuses, le spectateur devra s’accrocher pour saisir la finalité de ce concept capillotracté mais ô combien cinégénique. Les moins réceptifs pourraient être largués devant ce spectacle frisant parfois l’abscons.


Tenet est donc avant tout porté par sa forme. Mais qu’en est-il du fond, de ses personnages, de ses tensions dramatiques ? Là encore, le spectateur risque d’être désarçonné. Au premier abord, les protagonistes et l’histoire ne sont que des ressorts pour faire fonctionner la mécanique de cet exercice de style Nolanien et n’ont que peu de substance émotionnelle. La faute peut-être à un rythme extrêmement soutenu, limite assommant, qui est asséné durant 150 minutes. Il faut attendre un épilogue sobre et très réussi pour que l’émotion pointe le bout de son nez. C’est finalement hors champs, après le générique, que les motivations des personnages, leur tracas et leurs affects apparaissent enfin, alors que le film décante encore dans l’esprit du spectateur. C’est également en filigrane que se joue le propos hautement politique du film, avec ces générations du futur qui attaquent celles du passé afin de changer le destin de la planète. Le contenu de Tenet est bien plus riche qu’il n’en a l’air.


On peut donc saluer l’audace de mettre autant de moyens au service d’une œuvre radicale, exigeante et face à laquelle une bonne partie du public risque de rester hermétique. Qu’on adhère ou pas à l’univers de Nolan, il est réjouissant de voir que le 7ème art continue à se réinventer, même dans ses sphères les plus commerciales, afin de proposer des expériences narratives inédites et ambitieuses.

el_blasio
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le 29 août 2020

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