Vol au-dessus de la concurrence

Trois ans après Dunkerque, Christopher Nolan revient avec Tenet, un film avec un concept sur lequel on l’attendait au tournant tant ses films ont l’habitude de jouer avec notre perception du temps, devenant même la marque de fabrique du réalisateur. Sauf que cette fois, il ne s’agit pas simplement d’un artifice pour accentuer la tension en forçant les personnages à se précipiter dans l’action (Inception, Interstellar) ou d’un procédé de narration (Memento, Le Prestige, Dunkerque), mais bien du cœur de l’intrigue et de la mise en scène. Tenet promettait donc de nous montrer Nolan au sommet de son art, sur un thème qu’il a appris à maitriser durant toute sa filmographie. Son film somme, l’aboutissement de son style. Malheureusement, en sortant de la salle, force est de constater que c’est bien plus compliqué que ça.


Tenet s’ouvre sur une scène d’action. Des terroristes s’attaquent à un Opéra, des forces armées viennent les prendre d’assaut, Le Protagoniste joué par John David Washington et son équipe en profitent pour s’infiltrer parmi le GIGN local afin d’exfiltrer l’un de leur agent présent sur place. Et tout de suite on est scotché. La mise en scène de Nolan est précise, presque chirurgicale, on ressent la force de chaque coup de feu, la violence de chaque impact, pendant que l’équipe du Protagoniste navigue dans le chaos ambiant sans jamais perdre leur objectif de vue. Mais si la mise en scène est impeccable, la narration commence déjà à battre de l’aile. Les terroristes ne sont pas vraiment des terroristes, les forces de l’ordre ne sont pas vraiment des forces de l’ordre, la mission d’exfiltration n’est pas vraiment une mission d’exfiltration, les alliés du Protagoniste ne sont pas vraiment ses alliés… Et ça y est, on est perdus. Et au lieu de laisser le temps au spectateur de digérer les informations et de remettre de l’ordre dans notre esprit, le film enchaîne en nous lançant en l’espace de 3 ou 4 scènes très courtes, toutes les informations qu’il nous faudra pour comprendre la suite. Et on arrive alors au cœur du problème majeur de Tenet, sa narration.
Qu’une chose soit claire, l’intrigue de Tenet n’est en soit pas compliquée. Mais il devient vite compliqué de la comprendre car tout est fait pour nous perdre. Le but du protagoniste n’est pas clair pendant un long moment. On sait simplement qu’il doit stopper une Troisième Guerre Mondiale avant qu’elle n’arrive, mais comment, qui l’a engagé, que doit-il accomplir pour y arriver ? Rien n’est expliqué au premier abord. On le voit donc se lancer à l’aveugle, sans piste, dans une enquête alors que ni lui, ni nous, ne sait vraiment sur quoi il enquête. Le rythme effréné ne laisse jamais le temps de digérer toutes les informations et on passe beaucoup de scènes à regarder le film à moitié tant on est occupé à réfléchir au sens de la scène précédente. Le Protagoniste sans nom, ni but clair, ni proches qui pourrait nous aider à le comprendre, le définir, et donc l’apprécier, semble aussi perdu que nous. Sentiment qui n’est pas aidé par la performance d’une platitude absolue de Washington, qui dégage autant d’émotion qu’un morceau de tofu. Sur ce point, heureusement que Robert Pattinson, Elizabeth Debicki et surtout Kenneth Brannagh (absolument terrifiant dans le rôle de l’antagoniste Sator) sont là pour relever le niveau.
On assiste donc à la première partie du film avec beaucoup de perplexité. Nolan a toujours la réputation de complexifier artificiellement ses intrigues avec des dialogues cryptiques, ou un montage déstructuré par exemple, mais là on atteint un tout autre niveau. Et l’absence de son frère à l’écriture fait sans doute parti du problème. Il en sort tout de même des scènes d’actions très inspirées, originales et surprenantes, impliquant des éléments, voir mêmes des personnes, se déplaçant à l’envers. Très fun à regarder. Cependant c’est loin d’être suffisant pour un film si attendu, et surtout loin d’être suffisant pour combler les défauts du film. Mais alors qu’on arrive au milieu du film, un nouvel élément de l’intrigue est dévoilé, un élément clé à la fois pour la compréhension de l’intrigue, mais également pour la compréhension de toute la mise en scène de film et même, de sa narration qui semblait creuse en apparence. En effet, le voyage dans le temps est possible grâce à une machine permettant de rentrer dans un monde ou l’écoulement du temps est inversé. Et là, tout change.


Tenet nous promettait de jouer avec l’écoulement et notre perception même du temps. Mais dans la première partie du film, à part quelques moments de bravoure lors des scènes d’action, on était bien loin de cette promesse. Le film nous laissait seulement avec une intrigue classique et bâclée de film d’espionnage. Mais lorsque la machine est dévoilée, le film nous rappelle sa promesse et nous fait remettre en place toutes les pièces du puzzle. En un instant tout est éclaircit. Presque tout car on passera tout même de longs moments à essayer de comprendre exactement comment les personnages utilisent la machine, mais le gros de l’intrigue se dévoile enfin et Tenet montre son vrai visage. Les temporalités se croisent, les personnages agissent sur le monde inversé pour pouvoir agir sur le monde à l’endroit, le début d’une scène est sa fin, la fin d’une scène est son début, tout simplement jubilatoire. La mise en scène use habilement de ses nouvelles informations en créant par exemple de la tension avec un simple impact de balle, un objet cassé, une blessure, un cadavre. Autant de conséquences à des évènements qui n’ont pas encore eu lieu (mais paradoxalement si) mais qui, du coup, sont inévitables. Le concept d’inversion du temps est vraiment original et s’avère extrêmement bien exploitée. Malgré cela le film ne se repose pas sur ses acquis et continue jusqu’à la dernière minute de jouer avec son concept, notamment lors de la scène de l’assaut finale ou le montage nous montre le monde à l’endroit et à l’envers en même temps, nous montrant donc la fin de l’assaut et son début simultanément. Ça retourne le cerveau, ça impressionne, et nous rappelle pourquoi Nolan est tant apprécié. Il a beau faire du Mainstream, il arrive toujours à nous surprendre et à nous proposer du neuf tout en maitrisant son sujet en permanence.
Mais cette deuxième partie rattrape-t-elle la première ? On regarde la seconde moitié en ayant enfin les clés en main, fini cette sensation d’être perdu, de se noyer dans un bain d’informations bien trop profond, on peut enfin y apprécier ce que le film voulait nous proposer. Certes, mais pourquoi devoir subir plus d’une heure indigeste avant d’avoir droit de prendre son pied ? Tout simplement parce que la structure même du film est un rappelle de son concept. Nolan a décidé de nous montrer la fin de cette enquête, et non son début. Début qui sera donc le futur du Protagoniste afin de préparer son passé. S’il semble aussi vide dans le film c’est parce qu’il n’a pas encore défini son identité. De nouveau le début est la fin et la fin est son début. Nolan a fait de son film, de son intrigue et de sa mise en scène, un palindrome, à l’image du titre Tenet.


Mais si l’idée est ingénieuse, le ressenti est là. Même si on finit par comprendre pourquoi la première moitié est si cryptique, rapide et chiche en informations, on a tout de même passé une bonne heure du film à subir ce choix et il est dur de ne pas en tenir compte en sortant de la salle. Ce qui est sûr c’est que le film va énormément diviser et ce, même chez les fans du réalisateur. Mais qu’il est bon que Tenet existe. Qu’il est bon de voir des blockbusters qui osent prendre des risques et de proposer des choses différentes. Qu’il est bon de voir une mise en scène aussi calculée et parfaitement au service de l’intrigue. Finalement malgré tous ses défauts, Tenet est bon, il émerveille, il fait rêver. Et si on en attend plus d’un film de Nolan, on en attend rarement autant d’un film Hollywoodien. Et ça fait du bien.

McMorbid
7
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le 8 sept. 2020

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