Le problème fondamental du cinéma de Nolan est principalement son incapacité profonde à faire passer les sentiments humains, et également une certaine vacuité étrange, ainsi qu'un propos qui masque mal sa superficialité derrière des tours et des détours d'intrigues plus ou moins intelligentes et plus ou moins farce et attrapes. Dans Tenet, Nolan ne corrige pas fondamentalement ces problèmes mais réussit l'exploit de les sublimer, c'est-à-dire qu'il parvient paradoxalement à en faire des forces. Car, je dois bien le confesser, non seulement j'ai beaucoup apprécié ce film mais en plus je l'ai trouvé d'une rare intelligence et d'une rare poésie. D'une certaine manière, il y a derrière ces thèmes vus et revus de la science fiction, ceux de la physique quantique, du voyage dans le temps, des univers parallèles, des paradoxes et des liens narratifs se chevauchant, une vraie poésie et ils témoignent de la construction d'une nouvelle esthétique particulière, voire d'un courant majeur de la création actuelle. Mais quand ces bons vieux marronniers se lient au genre de l'espionnage britannique, vraiment plaisant et tout fait de discussions cyniques dans des paysages magnifiques, avec ces traditionnelles scènes d'actions qui, finalement, ne sont pas tout à fait nécessaires dans leurs élans spectaculaires (on se serait très bien passé de certaines scènes finales ou du VRAI Boeing écrasé dans un bâtiment) : on mixe le tout, cet ersatz de James Bond et de Doctor Who, et on obtient là je crois un film assez brillant.
Peut-être que le coup de génie de Nolan, dont le prénom aurait pu être un palindrome à une lettre près, est d'avoir su réinventé l'idée du voyage dans le temps par cette cohabitation audacieuse de deux dynamiques temporelles bien distinctes sur l'écran de cinéma. A ceux qui reprochent la complexité du film de Nolan ont en réalité bien tort de chercher à chaque instant la signification exacte d'une telle scène ou d'un plan en particulier, mais devraient davantage se laisser porter par ce Bateau Ivre cinématographique : quand on n'y pense plus, le sens vient tout seul, car il fait appel à l'instinct. Cette fantastique idée de guerre froide temporelle, ces références intelligentes à la théorie de la conscience comme relai des mondes parallèles, cette mise en lumière de certaines théories quantiques m'ont particulièrement plu et je dois admettre que, malgré l'existence d'un antagoniste forcément russe et forcément macho un peu facile soi dit en passant, la narration se tient malgré quelques longueurs et une volonté, très classique chez Nolan, de privilégier la forme sur le fond. Le film aurait très bien pu se contenter de l'essentiel et il faudra qu'un jour Christopher Nolan se rende compte que des plans de testicules écrasées sur des vitres de bâtiments en flamme ne sont pas l'alpha et l'omega d'un film réussi, et qu'il devrait continuer d'approfondir ce qu'il a ébauché car, oui, je dois bien dire que parfois certaines scènes ont presque réussi à m'arracher un véritable sentiment. Comme avec Interstellar, le film est brillant mais toujours un peu froid. Mais, je sens que quelque chose se réchauffe. Inversion thermique ou espoir ? Allez, encore un effort Nono!