On se référera toujours aux films de Nolan comme "le nouveau Nolan" : ce sont des films lourds, bien à lui et adressés au grand public. Ce n'est pas son œuvre mais sa vision qu'on va voir. Et pour le coup, on va même voir "le nouvel Inception".
On ne lui en voudra pas pour ça car il s'éclate toujours de manière visible et demeure un ami des foules qui ne fait pas semblant de vouloir leur plaire. Il faut juste accepter de voir exactement le contenu auquel on s'attend, un film de SF et d'espionnage, un blockbuster qu'on n'ose pas qualifier comme tel parce que bon, c'est Nolan. Beaucoup d'avis vont se concentrer sur la question du dosage de ces composants, cependant l'élément qui compte se cache derrière les deux à la fois : le compromis. Comment les genres se rencontrent, tout comme les deux extrémités du titre palindrome finissent par se trouver.
Tenet est un bain d'infos plus imbuvable encore qu'Inception, car même s'il est moins difficile à comprendre, il est beaucoup plus fourni en détails servant à donner de l'effet sans vraiment servir à quelque chose. Aussi, la mise dans le bain est très mécanique, cependant le film contient son propre antidote : "ne cherche pas à comprendre, vas-y à l'instinct". Si la première partie de ce précepte adressé au personnage principal m'a fait grincer des dents, la deuxième tombe juste : il faut visionner à l'instinct. Le scénario, lui aussi palindrome, aura besoin de temps pour se révéler et finir de maquiller cette question restée trop longtemps sans réponse : oui mais pourquoi ?
Mon désintérêt relatif pour le film d'espionnage est subjectif, cependant je trouve que c'est là que Tenet y perd le plus de potentiel. Une fois mission-impossibilisés et soumis au rythme dense de scènes plurigéographiques serrées les unes contre les autres, les personnages ne font plus partie de la création mais du divertissement pur et simple, à l'exception de Pattinson qui parvient (chose inattendue vu ses antécédents) à apposer son empreinte presqu'aussi bien que le casting entier d'Inception, sans donner le sentiment de subir le film comme Washington.
En résumé, le genre choisi contamine Tenet, hélas, de ses stéréotypes, surtout pour le personnage de Brannagh qui, en sa qualité de Blofeld recyclé, est le pauvre symptôme d'une inspiration à la James Bond irrégulière. Néanmoins c'est la dernière épreuve que le spectateur doit surmonter avant de se connecter au film et d'enfin se dire qu'il accomplit le plus important : faire sentir que, malgré le chapitrage et les rebondissements contraignants sur lesquels il jette son dévolu, Nolan transcende encore la nature-même du cinéma en faisant un film qui peut se voir dans les deux sens.
Plus loin encore, au-delà de ses propriétés précitées qui sont pour moi des erreurs particulièrement critiques chez Nolan, il y a leurs corollaires, ces qualités pour une fois discrètes qui maintiennent la fascination souvent inconsciente du public pour le réalisateur. Il y a l'écriture, technique, fluide, audacieuse et brillante, qui lui permet une cohérence rare avec lui-même et de ne faire qu'un avec ses objectifs. Et il y a sa vision organique du cinéma qui fait de lui, aux côtés de J.J. Abrams, un des quelques cinéastes anti-technocrates des genres d'anticipation de nos jours.
Bref, Nolan remet en question, et c'est ce que l'époque réclame. Quant à moi, je trouve tellement satisfaisant d'hésiter entre deux notes de façon si prononcée que cela achève de me convaincre.
→ Quantième Art