Le fantasme du film d'action pur, c'est de ne laisser aucun silence, aucun flottement, aucun moment de repos à ses personnages. Ce qui veut dire : aucun moment où ils pourraient douter, se poser des questions, se remettre en question, fantasmer, se heurter à la réalité des autres personnages etc
Dans un film d'action pur comme Tenet, tout se passe au présent. On ne retient rien de la scène précédente et on s'en fiche. Le but est simplement de passer d'une salle à une autre, d'une pièce à une autre, à l'aide de clés narratives aussi pauvres que fugitives, un objet, une information, un twist qui annule le twist qui annulait déjà le twist.
Il n'y a aucune mémoire narrative. Donc aucune évolution des personnages, aucun événement qui soit imprégné du précédent, aucune sédimentation, aucune progression dans notre perception des caractères ou des enjeux. C'est un univers qui fait du surplace. Un univers autophage qui doit remplir, remplir, remplir pour éviter de s'effondrer. Un univers qui s'est débarrassé, et c'est bien là l'ironie, du temps qui passe, de la mémoire qui pèse, de l'avenir qui est imprévisible, du présent qui nous échappe.
L'idéal, pour cela, est de se reposer sur des personnages off-shore. Ils n'ont pas de vie, pas de passé, aucun ancrage dans le monde réel, aucune substance. Qu'ils soient des méchants caricaturaux ou des messies en carton, ils évoluent tous sur le même plan, ils traversent le monde comme si personne ne pouvaient les voir et, bien cachés derrière leur miroir, ils voient tous ce qu'il se passe à travers un point de vue unique, superficiel, d'où le reste du monde est exclu (on sauve le monde mais on se fiche du monde, un classique)
Ils sont les représentants d'un monde dévoré par la technologie, la grisaille militaire, l'argent, la toute puissance, un monde sans limites et pourtant terriblement moche et étroit.
Qu'ils puissent, sur le papier, revenir dans le temps, ce n'est que pour trouver encore plus de pretexte à bouger, remuer, avancer pour ne pas réfléchir, dupliquer l'univers artificiel et vide dans lequel ils évoluent, un univers de stimulus nerveux de plus en plus nerveux.
Les dialogues ne sont jamais des rencontres mais de purs échanges d'informations. La pseudo-science saupoudrée ici et là relève de la mauvaise vulgarisation et pourrait être utilisée par une secte quelconque pour endormir son public. La musique est presque omniprésente, une sorte de musique d'ascenceur pour film d'action, industrielle, rythmée, électronique, pour être bien sûr qu'il se passe quelque chose, que le coeur bat quand même, qu'on est pas momifié dans ce blabla de néo james bond/mission impossible sans humour.
Le concept étant uniquement technique, les effets visuels n'ont aucun volume, aucun intérêt. Tout n'est qu'électrons qui s'entrechoquent dans l'indifférence totale. Le sens s'est envolé.
Le monde est sauvé. Le temps ne passe plus. Tout est laid. Nous voici en enfer. C'est Gogues Land.