Deux copains d’adolescence, Hugo Benamozig et David Caviglioli, décident, une fois adultes et après quelques courts-métrages, d’entreprendre une réalisation dont l’esprit remonte jusqu’à l’enfance et à son formidable goût de l’aventure. Naît « Terrible Jungle », un film qui ne fera certes pas date dans l’histoire du cinéma français mais qui se révèle sympathique, franchement drôle par moments et moins lourd que ce que l’on pouvait craindre.


Une certaine subtilité est posée d’entrée de jeu : un jeune ethnologue, fraîchement sorti de son université (Vincent Dedienne, excellent dans le rôle) et cherchant à fuir une mère castratrice, ne trouve rien de mieux que de partir au fin fond de la jungle, en Guyane Française, dans le projet d’y approcher le peuple des Otopis. Un affranchissement tout relatif, et dont on prévoit d’emblée le possible retournement : sa mère est elle-même une ethnologue très renommée, Chantal de Bellabre. Il faut voir Catherine Deneuve, visiblement très amusée d’incarner ici une autre star, prononcer ce nom prestigieusement particulé avec autant de naturel que si elle avait l’habitude de le décliner depuis sa prime enfance. Quant à son rejeton, le nom dont il est affublé illustre l’écartèlement qui distord son existence : un prénom qui tente un enracinement dans la modernité américanophile, Eliott, et un patronyme, en réalité matronyme, qui l’inscrit dans la lignée d’une vieille noblesse française, dont s’enorgueillit sa génitrice.


L’un des aspects réjouissants de cette réalisation bicéphale est la série de coups de patte administrés à la galerie de portraits au masculin qui entoure ce jeune anti-héros : au père, dont aucun bien ni mal ne pourra être dit, puisqu’il brille par son absence proprement radicale, succède d’abord une figure de baroudeur malin et malhonnête (Olivier Bonjour, très bon en Werner Humboldt), mais qu’on ne verra pas longtemps, puisqu’il ne sait pas recruter de bons complices. La brigade de gendarmes éphèbes, plus préoccupés de leurs loisirs et de leur plastique que de leurs enquêtes, à laquelle Madame de Bellabre devra faire appel pour retrouver son fils disparu, est dirigée par un Jonathan Cohen désopilant, en Capitaine Raspaillès épris de littérature et affichant une nonchalance non dénuée de sens de la repartie. Les dialogues qui l’opposeront à Chantal de Bellabre - puisqu’il s’agira plus d’opposition que de collaboration - seront souvent savoureux, surprenants, et provoqueront un rire qui en redemanderait encore. Que dire des quelques représentants amazoniens de la gent masculine, soit mutiques et bardés de muscles, soit informes et torpillés par la drogue locale, soit plus vifs mais totalement explosés par cette substance... On est quelque temps contents de voir l’apprécié Patrick Descamps tirer un peu mieux son épingle de ce jeu explosif mais sa belle prestance, quoiqu’ici un peu scélérate, ne pèsera guère lourd face à l’impact d’une balle...


Les hasards de toutes ces rencontres et confrontations permettront également une intéressante mise à l’épreuve de la question des a priori et du regard porté sur autrui : que ce regard soit lointain ou intime, qu’il s’agisse du regard d’une mère sur son fils, d’un fils sur sa mère, ou d’un Occidental sur une peuplade supposée sauvage, le droit souverain de l’autre à surprendre et à ne pas toujours se montrer conforme aux attentes sera salutairement rappelé.


On regrettera d’autant plus les quelques lourdeurs ou maladresses, une silhouette trop sommairement taillée, telle celle de la supposée cheffe Albertine (Alice Belaïdi), quelques dialogues outrés, ou une photographie peu subtile. Il faudra se rappeler, alors, les conditions de tournage difficiles dans l’Ile de la Réunion, mais vaillamment affrontées par une équipe résolument optimiste, pour retrouver une indulgence méritée par ce premier film qui évite toutefois bien des ornières.

AnneSchneider
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le 9 août 2020

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Anne Schneider

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