Souvent âpre et à fleur de peau, Tesnota est le premier film du prometteur Kantemir Balagov. Avec sa mise en scène qui suinte l’urgence, Tesnota nous dessine les traits parfois sombres de la place de la femme dans une société émiettée par ses traditions et l’omniprésence du conflit religieux.
Alors que le petit frère d’une famille habitant le Nord du Caucase est kidnappé avec sa compagne, la famille va tout faire pour essayer de le retrouver et assembler l’argent pour la rançon.


Par la suite, ce kidnapping deviendra une affaire de famille, un acte qui doit se régler en communauté. Tesnota n’est absolument pas un film policier ni de près ni de loin. Le point d’ancrage est plus globalisant que cela : le film est un portrait d’une société qui se terre dans ses travers communautaristes où le conflit de guerre est violent et déshumanisant. La toile de fond du film voit une tension religieuse dans la petite bourgade de Naltchik : entre la communauté juive à laquelle appartient Ilana et sa famille, et avec la population kabardienne à prédominance musulmane.


Dans cette liesse hypocrite et manipulatrice, où les enjeux deviennent familiaux, qui ne sont pas éloignés du réalisme social des frères Dardenne, Tesnota se concentrera sur Ilana. Dans son iconisation et sa représentation, Ilana ressemble un peu au personnage de Connie incarné par Robert Pattinson dans Good Time : elle a cette fougue, cette envie de liberté, isolée dans un cadre restreint, pauvre et poussiéreux et lacéré par une mise en scène furtive, qui fait de Tesnota une fuite en avant contre un système et un environnement refermé sur lui-même.


Autour de ce dessein-là, Tesnota se fait magistral, de par son insistance visuelle sur les visages, son jeu de lumière inépuisable aussi naturaliste que chromatique et la symbolique du décorum social et religieux. Avec son blouson en jean et son sigle de lion qui rappelle le blouson chromé du Driver de Nicolas Winding Refn avec son scorpion, Ilana se détache de son monde, se mue en une femme qui a soif d’air, de lâcher prise, aussi antipathique que terriblement forte.


Elle fume, boit, aime les moteurs de bagnole, déteste les robes bariolées qu’on lui impose, aime les hommes rustres et ne baisse pas les yeux face au patriarcat dominant. Cette claustrophobie narrative s’étend au-delà du cadre même du film et se retranche dans sa mise en scène esthétique, en mouvement, avec des arguments picturaux jouant dans des appartements exigus qui donnent peu de places aux plans larges et à la respiration filmique. La lumière, qui se veut parfois éclatante, devient une sorte de motif, peignant souvent le décor en couleur lorsqu’elle filtre à travers des rideaux jaunes ou les sorties nocturnes à la Philippe Grandrieux. Le film entier est tourné dans un rapport d’aspect 4:3 étouffant, avec Ilana de plus en plus cadrée voire piégée dans des zones plus petites, ourlées par des objets qui soulignent souvent son visage.


L’atmosphère anxiogène générée par le réalisateur et la performance de Darya Zhovner sont impressionnantes, nous emmènent sur des montagnes russes émotionnelles. Parfois l’image se durcit, pour devenir acerbe notamment lorsque le réalisateur nous met à la place des personnages, lors d’une soirée arrosée, en train de regarder les images réelles de tortures et d’exécutions de guerre. Tesnota offre un regard différent sur le cinéma russe et son habitude à disséquer sa richesse et sa déshumanisation écrasante, et nous délivre un film organique, violent où la matière est en perpétuelle agitation et où la drame fraternel et communautaire à la James Gray éclabousse nos rétines.


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Velvetman
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le 23 août 2018

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