Il y a quelque chose de déroutant dans ce film. Mais qui rend parfaitement compréhensible l'enthousiasme des cinéphiles dithyrambiques, trop heureux de pouvoir se flatter de reconnaître les clins d'œil à ci et les références à ça et de se gargariser sur leur grande culture du muet tellement chic et qu'ils adorent depuis qu'ils ont douze ans tellement qu'ils ont été élevés par Buster Keaton et Murnau.
Pour moi, qui n'ai pas une grande culture du muet, même s'il m'est arrivé de regarder et d'adorer les vieux Chaplin, je suis resté perplexe devant cette œuvre que j'hésite à considérer comme le sympathique vecteur d'un message un peu ambigu ou comme un pur exercice de style qui choit du haut de ses ambitions.
Que penser du scénario, d'abord ? Je ne sais pas si je suis le seul dans ce cas, mais cette réflexion sur le changement technologique du cinéma qui force à l'adaptation ou à la disparition a fait résonner en moi l'actuel débat sur la nécessité ou la futilité de la 3D. Combien furent-ils, les zélateurs de cette nouvelle façon d'attraper la migraine, à dire que toute réticence devant cette révolution technologique n'était pas sans rappeler les cris poussés par le public lors de l'apparition du son ou de la couleur ? Peut-être faut-il donc voir dans le curieux objet d'Hazanavicius une apologie passionnée de la 3D au cinéma ? Ce qui, compte tenu de sa mise en forme serait toutefois bien curieux. Changer ou mourir, s'adapter à la 3D ou arrêter de faire du cinéma, tel est le dilemme ?
Dans ce cas, alors, pourquoi choisir la forme d'un pastiche tout ce qu'il y a de plus rigoureux ? Peut-être le réalisateur est-il en fait contre le changement technologique ? S'agit-il d'une nostalgie du bon vieux temps ? La question du pastiche en art est une question délicate : si le post-modernisme s'y est depuis longtemps essayé (avec Tarantino par exemple), il y a dans "The Artist" une sorte de jusqu'au-boutisme qui fait grincer des dents.
Je vais faire un parallèle très simple : je suis étudiant en architecture. Si on me demandait de dessiner un nouvel hôtel de ville pour une petite commune, pourrais-je sans frémir, sans me sentir parcouru d'un tremblement glacé, l'orner de colonnes corinthiennes et d'un fronton de pierre de taille, le dessiner symétrique et bien distribué autour d'un corridor central, avec de belles portes massives en chêne ornées des symboles de la République, comme on en faisait au XIXe siècle ? Bien sûr que non. Même si l'architecture du XIXe siècle est parfois magnifique, elle a fait son temps et les paradigmes ont changé en même temps que les manières de construire. Même les architectes qui se revendiquent post-modernes, depuis les années 1970, n'ont jamais poussé le pastiche jusqu'à imiter dans ses moindres détails un bâtiment ancien. L'ornement est revenu comme vecteur de sens, le symbole est réapparu sur les façades, mais jamais l'héritage moderne n'a été totalement ignoré.
Or, "The Artist" peine à se détacher du pastiche un peu servile et donc futile. Le jeu des acteurs, la lumière, le format, la photographie, la musique, le montage... tout semble le fruit d'un minutieux travail d'observation des vieux muets et une sorte d'imitation sans recul. Le seul élément de modernité que j'entrevois, et j'avoue qu'il est plutôt bien géré, c'est l'utilisation de silences aux moments les plus cruciaux. Et encore, je ne suis pas certain que cela soit vraiment moderne, car des souvenirs confus de "l'Aurore" (1927) me reviennent.
Tout le monde s'accorde, en outre, pour saluer la prestation extraordinaire de Jean Dujardin que je ne peux personnellement pas supporter plus de deux secondes alors je glisserai sur ce point. Le fait qu'il donne une certaine visibilité au cinéma français à Hollywood est sans doute une bonne chose, mais pourquoi aller chercher les Marion Cotillard (grande politologue devant l'Éternel) et les Brice de Nice quand tant d'autres acteurs y seraient nettement plus légitimes ? Passons.
J'ai donc ressenti un vrai malaise devant "The Artist", alors que l'on ne cesse de me faire le reproche de vivre dans le passé. Disons qu'il pose plus de problèmes qu'il n'en résout, et c'est peut-être pour cela que, finalement, je suis agréablement surpris.