Proposer un film muet en noir et blanc, rendant hommage aux âges primitifs du cinéma, était un pari risqué. Après avoir ressuscité tout un pan du film d'espionnage (OSS 117), Michel Hazanavicius poursuit avec The Artist sa quête d'un passé glorieux du 7ème art, en accouchant d'un spectacle régressif formellement brillant, mais en demi-teinte dans la frustration même qu'il suscite.

George Valentin est une légende vivante du cinéma muet dont l'existence va basculer avec l'invention des films parlants. La femme qu'il aime, petite figurante devenue icône adulée de ce nouveau cinéma, va tenter à tout prix de le sauver de la déchéance. L'histoire de The Artist, si elle part d'une intention hautement louable et d'un amour sincère pour le cinéma, apparaît tout au long du film comme un parcours balisé, ultra référencé, hanté par l'ombre dévorante de Boulevard du crépuscule, dont il n'atteint pas la grandeur tragique. Porté par un formidable duo d'acteurs (Jean Dujardin et Bérénice Bejo, saisissants dans leurs rôles muets), une partition musicale aussi belle qu'intense et une image en noir et blanc de toute beauté, The Artist est sans aucun doute, au moins d'un point formel, un film magnifique, mais qui reste malheureusement prisonnier de ses modèles, au point de ne jamais vraiment s'en écarter. Trop appliqué dans sa mise en scène mimétique des grands classiques, Hazanavicius ne propose finalement qu'un exercice de style. Un pastiche virtuose, certes, mais rien de plus qu'un pastiche.

S'il amorce à quelques reprises un décalage ludique avec son matériau muet (jeu effrayant sur les rares sons employés, vision fantastique de l'ombre de George Valentin), le cinéaste n'exploite que trop rarement cette délicieuse distanciation qui aurait pu le conduire au chef-d'œuvre, provoquant chez son spectateur un sentiment d'insatiabilité. The Artist est un bel objet audio visuel, mais bien trop sage pour vraiment fasciner. La frustration est d'autant plus grande quand on pense à l'habituelle liberté de ton du cinéaste, heureusement contre-balancée par une dernière séquence sublime, portée par un crescendo musical et dramatique d'une belle intensité émotionnelle, où les acteurs expriment le meilleur d'eux-mêmes. On retiendra ainsi de The Artist la performance du casting et la recréation maniaque de l'esthétique cinématographique des années 1920, qualités admirables mises au service d'un écrin hélas trop superficiel pour engendrer une adhésion totale. Œuvre légitime dans sa singularité et son amour de l'art, créée à contre-courant des tics tapageurs du cinéma actuel, The Artist pourrait bien se donner à voir comme l'ébauche d'un grand film à venir, la première étape d'une odyssée excitante à la croisée des âges. Un film qui laisse un goût d'incomplétude, mais demeurant néanmoins plaisant à bien des égards, ne serait-ce que par la grâce de ses images de rêve, de ses icônes poignantes.
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le 12 oct. 2011

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