The Big Short est un film crucial. Essentiel. Vital.
Laissez-moi m'enfoncer davantage dans l'emphase ici :


Voir et comprendre The Big Short, à défaut de lire dans son entièreté le rapport de la FCIC original¹, devrait être un devoir citoyen. A l'heure où facilement 90% de la population est passée à côté des raisons et processus produisant l'éclatement d'une bulle immobilière sans précédent, et où la majorité des commentateurs économiques américains, dont on connaît le don pour le biais de confirmation, le coping et la dissociation cognitive face aux position délicates et réalités difficiles à digérer (il y a ici masses d'observations sociologiques à faire, notamment en ce qui concerne la culture protestante de l'interprétation solitaire du livre et le rejet de l'autorité spirituelle et intellectuelle) ont décidé de balayer du revers de la main les enseignements cruciaux qu'il était pourtant vital de tirer de la crise des subprimes pour n'y voir, à l'aune de leurs convictions réductionnistes libertariennes, que l'effet de politiques de régulations et de contrôles comme le CRA ou le maintien de faibles taux par la banque fédérale.


Même une étude rapide et superficielle du problème réalisée avec un minimum d'honnêteté intellectuelle devrait convaincre les plus profanes d'entre-vous que ça n'est pourtant absolument pas le cas. La crise des subprimes résulte entièrement de la dérégulation totale et le contexte de déresponsabilisation dans lequel opérait le fameux shadow banking system, et de la confiance irrationnelle des acteurs envers les seules autorités d'arbitrage que l'on pouvait leur offrir, les rating agencies, fameuses "Big Three" : Moody's, Fitch & Standard, qui se sont considérablement enrichies durant la crise des subprimes en fournissant des notations spécieuses, aux ordres, et dont eux-même étaient conscients des dangers qu'elles représentaient (voir les témoignages du rapport de la commission à ce titre), pratiques pour lesquelles elles ont été maintes fois condamnées depuis


Les chiffres ne mentent pas : Pendant la crise des subprimes, Moody's a dégagé des marges de plus de 50% supérieures à celles de géants comme Microsoft ou Exxon. Leur valeur boursière a été multipliée par un facteur supérieur à 4.


Et cette profonde indécence, cette injustice, cet après-moi-le-délugisme systémique observé par des acteurs financiers pathologiquement irresponsables, short-sighted et malhonnêtes, peu de documents le retranscrivent aussi bien que le Big Short d'Adam McKay.


Il faut ici saluer la prestation d'acteurs et le casting hors pair, avec un Steve Carell décidément virtuose, un Gosling surprenamment juste dans son comedic timing et sa delivery, et un Christian Bale qui se donne à fond dans un rôle d'autiste qui lui va à merveille, sans faire de mauvais esprit.


Si le film est efficace, malgré un sujet particulièrement difficile, c'est justement parce qu'il fait des pieds et des mains pour rendre les mécaniques à l’œuvre derrière la crise de 2005 intelligibles.
Au fil d'une exploration du monde des produits financiers immobiliers, où le spectateur découvrira tour à tour, en montant crescendo dans l'obscène, les MBS, CDO, synthetic CDOs et CDO², Adam McKay semble accompagner son spectateur avec une attention et une bienveillance méticuleuse, lui offrant systématiquement l'occasion d'évacuer sa nausée par un relâchement comique, et le prenant par la main à chaque fois qu'il mentionne un concept économique exotique, afin de s'assurer de ne pas le perdre.


Une attention cruciale, au regard de la complexité du problème ambitieux qu'Hollywood avait jusque là choisi d'éviter ou de contourner (je pense à Margin Call, qui ne traite en substance de rien de concret), et qui laisse encore la plupart des profanes complètement confus.
Et c'est cette tonalité comique qui fait le génie de ce Big Short. S'il était purement premier degré, TBS serait complètement insupportable : agaçant par ses tics de mise en scène, révoltant par l'indécence de son sujet.


Mais en servant la prestation comique pince-sans-rire grandiose et pleine de justesse d'un cast aux petits oignons, McKay nous offre une issue :


A défaut d'une solution à la crise, d'un remède contre l'obscène, d'une assurance contre de futures catastrophes du même calibre qui ne manqueront pas de nous frapper à nouveau, McKay nous offre la possibilité d'en rire. Le relâchement cathartique vital qui rend l'expérience supportable et la prise de conscience possible.


¹ http://fcic-static.law.stanford.edu/cdn_media/fcic-reports/fcic_final_report_full.pdf

SummerWin
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le 12 mars 2019

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Cool Breeze

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