Préambule



A l'origine, deux adjectifs distincts pour désigner la couleur noire dans les langues indo-européennes co-existaient. Ater le noir mat et éteint qui a donné le préfixe ater- comme dans atroce ou le suffixe -âtre comme dans bleuâtre. Dans les deux cas cela est toujours péjoratif. Et niger, le noir brillant et beau d'où provient tout le vocabulaire de la négritude. La langue mère des langues anglo-saxonnes possédait aussi deux adjectifs distincts : svard, le noir mat et laid, conservé en allemand avec l'adjectif schwarz, et blaek pour le noir lumineux et bon que l'anglais a gardé avec black. (pour de plus amples détails voir Noir. Histoire d'une couleur, 2008 de Michel Pastoureau)
Quant au blanc en latin aussi il était signifié par deux mots : albus « d'un blanc mat » et candidus « d'un blanc éclatant ». Plus simplement c'est la couleur de la pureté, et de l'éternité dans les mariages occidentaux et les funérailles extrême-orientales mais c'est aussi un coloris de vêtement qui tâche vite …
L'un épouse l'autre dans le Yin et le Yang. Le sang, lui, est rouge quelque soit la carnation extérieure.



Birth of an action



Enfin. Enfin un film plus profond et équilibré sur la question de l'esclavage aux États-Unis. Qui montre comment les choses étaient plus contrastées que dans la plupart des films manichéens sur le sujet, alors que la réalité n'était ni noire, ni blanche. Une œuvre qui montre que le noir peut briller comme le blanc, et inversement.
Enfin un film sur la vie et l'œuvre de Nat Turner. Un film qui ne fait pas croire que c'est Lincoln qui a libéré de son propre arbitre les esclaves ou qu'être un gentil Majordome sert la cause de qui que ce soit. Enfin un film qui met les mains dans le cambouis et qui arrête de penser en politicien. Et qui n'en devient que plus poignant et plus... politique.
Le tout contenu dans un moment de cinéma qui n'oublie pas d'en être un et soigne sa forme, même si elle n'est pas exempt de tout défaut.



Esthétique et écueils



Abordons de suite les quelques défauts, surtout techniques, du film. Quelques broutilles qui ont empêcher l'objectivité de votre serviteur de desservir la note de 10 même si son cœur en avait fort envie. Du coup un cœur, graphique celui-ci, a été rajouté à la note. Merci Sens Critique.
Cette histoire tirée de faits réels, a un côté un peu hagiographique, c'est à dire que Nate Parker, l'auteur-réalisateur-producteur se donne le beau rôle, et elle fait preuve également d'un soupçon de maniérisme, parfois erratique semble t-il. Mais ce maniérisme fugace produit la plupart du temps des images splendides et signifiantes à la fois. Pour exemple, ce travelling arrière sur des "étranges fruits", débutant sur un papillon posé sur le corps inanimé d'un enfant, vers la fin du film, est à la fois terrible, esthétique et symbolique, probablement du passage de la mort de certains, y compris les enfants, pour que les vivants d'une même condition puissent sortir de leur chrysalide d'esclaves afin d'atteindre le statut d'homme libre. Une représentation poétique de la (re)naissance, qui peut être violente. Cependant certaines autres représentations, et notamment celle de l'ange féminin, reviennent un peu trop souvent, et semblent manquer de budget. Quant à la construction du scénario, elle est moins clair vers la fin. Mais le plus gros défaut ici est Armie Hammer, qui ne sera probablement jamais un bon acteur. Dommage car le reste de la distribution tient son rang, l'auteur en tête. Et surtout le fond du propos possède une belle cohérence. C'est d'ailleurs pourquoi le film en souffre en réalité peu de ces petites failles. L'émotion et le sens prennent le pas.
Ceci étant écrit, revenons au rééquilibrage …



Cent ans de films américains



Il y a donc volonté de rééquilibrage et c'est donc fait en toute conscience car Nate Parker lui-même a précisé avoir intitulé le film Birth of a Nation afin de faire penser le spectateur au film premier du nom de D. W. Griffiths, sorti il y a 102 ans,  qui avait été accusé de montrer de manière trop complaisante le Ku Klux Klan et de diaboliser les Noirs.



Addressing Griffith’s Birth of a Nation is one of the many steps
necessary in treating this disease. Griffith’s film relied heavily on
racist propaganda to evoke fear and desperation as a tool to solidify
white supremacy as the lifeblood of American sustenance. Not only did
this film motivate the massive resurgence of the terror group the Ku
Klux Klan and the carnage exacted against people of African descent,
it served as the foundation of the film industry we know today. I’ve
reclaimed this title and re-purposed it as a tool to challenge racism
and white supremacy in America, to inspire a riotous disposition
toward any and all injustice in this country (and abroad) and to
promote the kind of honest confrontation that will galvanize our
society toward healing and sustained systemic change.



(in Five Questions with The Birth of a Nation Director Nate Parker)
Il faut avouer que c'est à la fois ambitieux et courageux de sa part, car le film de Griffith est considéré comme raciste, a fait scandale à l'époque, donnant lieu à des émeutes mais également comme le pionnier du langage cinématographique moderne. Nate Parker a évidemment un style différent. Il essaie constamment de lier forme et fond, de faire sens dans chaque plan. Assez étrangement il est l'héritier des cent ans de cinéma américain précédents. Il n'est de toute façon pas le premier artiste à vouloir remettre en question l'art du passé et à en être de ce fait tributaire à la fois.
L'ambition a tout de même payé, littéralement. En effet le le film a été acheté par la Fox, qui n'est pas franchement une entreprise progressiste. Mais il est intéressant de noter qu'une grosse somme a été investie pour racheter un film indépendant, quand dans ce même film on nous montre l'obligation du gain financier comme un autre fondement de la violence. Cette obligation amène certains hommes à changer, doucement mais surement, et à céder à tous les caprices de leur hôtes.
Dans ces deux cas cinématographiques, la tension est présente, sanglante. Certaines scènes vont certainement faire débat. Cette violence est rampante dans la société américaine et humaine en général. Si les Noirs et les Blancs s'opposent à l'écran, le sang versé lui, a la même couleur rouge. La violence qui conduit à cette conclusion est issue de l'insoutenable réalité auquel fait face Nat Turner et du dieu de vengeance de la Bible.



''Il est un guide, un prophète ''



L'histoire démarre par un rite africain qui certifie que le jeune Nat possède trois attributs comme les trois marques sur son torse : sagesse, courage et clairvoyance. Est-ce simplement un flash onirique ? Peu importe, ce que montre le film c'est le lien avec les racines africaines et plus personnellement avec son âme et celle de la collectivité. Dans celle-ci Nat est désigné comme un prophète. Il possède un côté christique et est de suite désigné comme un guide. Il deviendra un martyr. De toute façon on connaissait la fin avant de s'asseoir en salle. Tout ceci amène à l'omniprésence de La Bible est ses interprétations dans le scénario. La religion, au sens étymologiques de relegere (cueillir, rassembler) et religare (lier,relier) d'un côté et le dogme de l'autre. Cette foi peut conduire à l'amour ou à la destruction. On nous laisse méditer dessus dans un face à face entre Nat et Isaiah. Constamment d'ailleurs, on nous laisse le choix, on nous demande de réfléchir et de nous faire notre propre avis. C'est parce qu'il réalise un acte de foi et suit ce qu'il appelle son rôle de berger que Nat Turner est puni. La contradiction entre les textes, entre les manières de voir la religion est forte. Il place d'abord sa foi dans un dieu d'amour et d'acceptation puis en constatant toujours plus l'horreur que subit les autres, notamment les femmes, et finalement lui même, il prend le chemin du dieu de vengeance. La limite est toujours fragile. Il cite du reste lui-même le verset qui décrit sa future perte, Matthieu 26:52, à son épouse qui lui répète que son glaive doit rester au fourreau. Les femmes sont d'ailleurs le fil rouge de sa vie, ses piliers qui le feront changer petit à petit, ce qui est montré avec patience dans le film.



L'éducation (des femmes et la foule) sentimentale



 
La place de l'enseignement dans la vie du personnage principal est centrale dans l'histoire. Il est en premier lieu donné par une femme blanche. Même si elle pratique la ségrégation, elle insiste pour lui donner des cours et pleure à sa mort. Elle est en réalité le premier personnage qui indique la complexité des rapports humains, même dans ce contexte. Cela se poursuit plus tard en montrant l'ambiguïté de chaque individu. Il y a propriétaire d'esclaves et propriétaire d'esclaves. Il y a esclave et esclave. Les lignes sont floues. Les hommes qu'on croyait nos amis sont nos ennemis. Les hommes peuvent devenir l'instrument de la violence. Les femmes, elles, noires ou blanches, cherchent la paix et l'éducation, même dans des situations tragiques. Le réalisateur parle d'ailleurs d'éducation dans l'article précédemment cité et de l'importance de la faire dans une vision la plus claire possible, en se confrontant à la totalité du passé. Tous, hommes et femmes, sont en revanche une seule et même bête ignorante, poussée par la recherche d'un coupable, d'une hiérarchie sociale.
Les femmes sont au centre du changement de Nat Turner comme l'est la religion. Ce qui est très cohérent car profondément dans plusieurs spiritualités à travers le monde monde, les femmes sont naturellement plus proches de Dieu et du cycle de la vie. Ici elles prennent la forme de la propriétaire/professeur, de l'épouse, de la mère, de la vieille amie, des petites filles et même de l'ange. En résumé, elles sont omniprésentes dans ce film où l'on rappelé la place dans l'histoire de la moitié de l'humanité, trop souvent oublié. L'éducation au final peut mener à la justice mais aussi à la révolte. Là encore pas de simplification, les choses sont troubles. Comme elles le sont toujours aujourd'hui.



Décalcomanie sociale contemporaine



'' Tu ne travailles pas aujourd'hui. Tu es libre." A partir part de cette phrase le film prends une autre tournure. Le principe énoncé par Nathaniel à sa mère (encore une fois une femme) prend un accent universel. En effet dans les nations aujourd'hui, le salariat s'apparente à de l'esclavage moderne. On paie pour sa case ou sa cage dorée. Ce n'est peut-être pas l'intention du film au départ car le réalisateur lui-même parle d'un film pour inciter à se révolter contre les injustices mais c'est clairement l'impression que donne le tournant du film.
On montre à l'écran que lorsqu'on ne travaille pas on est libre. Les conditions aujourd'hui ont changé. Nous vivons dans un, dans des pays financièrement riches, où la majorité mange à sa faim mais pour une majorité les chaines restent fréquemment dans le cœur et dans l'esprit. En nous-mêmes, les choses ont peu évolués. M. Turner doute et regarde ses émotions. Et avec lui le spectateur. Est-il plus libre après s'être révolté ? Ou simplement plus proche de sa mort comme le dit Isaiah ? La encore le film montre, propose et demande au spectateur de regarder, de réfléchir avec lui sans lui imposer le pathos habituel des habitués d'Hollywood. 
 
Il s'agit au final d'une œuvre contrastée, qui couvre un large champ d'étude et questionne certains des fondements des sociétés actuelles. Elle possède aussi une patte propre et une volonté de porter à l'écran un sujet méconnu qui donne à relire les livres d'Histoire et à s'interroger sur la rôle des "grands" et des "petits" de celle-ci. Après Tu Ne Tueras Point, voici un nouveau choc cinématographique, une autre salve de radicalité.
Au passage au générique de fin nous pouvons noter sous le label "Executive producer", Tony Parker, donc Vive le France !, et David S. Goyer, scénariste des films au sujet de Batman de Christopher Nolan. 
Souhaitons autant de succès à ce film qu'au premier du nom, même si ce n'est pas bien parti pour le moment, car il nous présente la naissance d'une nation mais aussi celle d'un réalisateur à suivre et peut-être même, brillant.

Fiuza
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le 12 janv. 2017

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