«Elle adore les miroirs ! Elle s'adore ouais.» s'extasie Nickie (Emma Watson) en s'engouffrant dans l'armoire à chaussures privée de Paris Hilton qu'elle vient cambrioler. C'est son premier gros coup, qui n'en restera pas là. Elle et sa bande de copines, vite surnommées le gang du Bling Ring, vont pénétrer chez de nombreuses célébrités avant de finir en prison. L'histoire est vraie, ses événements, intervenues entre octobre 2008 et août 2009, relate une série de cambriolages d'une valeur de plus de 3 millions de dollars réalisée par une bande d'ados des quartiers riches de L.A.

L'affaire, retracée dans le magazine américain Vanity Fair sous l'intitulé «Les suspects portaient des Louboutins», a inspiré Sofia Coppola et l'a vite convaincue d'en faire un film : «C’était incroyable, et ça mettait en scène de jolis gamins qui tournaient mal, dans un univers glamour. Leurs mots m’ont frappée : ils avaient l’air de penser qu’ils n’avaient rien fait de mal, et ils s’intéressaient surtout à la notoriété que leur avaient apportée les vols. L’histoire disait beaucoup de choses de l’époque, et du fait de grandir à l’âge de Facebook et Twitter."

La cinéaste s'est donc inspirée de transcriptions d'interviews, d'articles de journaux ou encore de rapports de police pour donner vie à ces cinq ados malfaiteurs. Mais pas seulement, sa propre existence, par les souvenirs qu'elle garde de son adolescence, lui a permis de retracer le plus fidèlement possible le psyché de cette galerie de personnages qui sonne comme l'allégorie de toute une époque. On ira pas jusqu'à dire que sa cinquième réalisation résonne comme son film le plus personnel mais il y a dans The Bling Ring un écho à sa personnalité et au regard qu'elle porte sur cette génération, dite Y. Tout ce ressenti, c'est ce qui fait le cœur de son métrage, pensé comme une longue exposition des tares de ces enfants nés du capitalisme mondialisé. «Je veux les fringues d'un mannequin Victoria's Secret.» lance Rebecca à Nickie, pour justifier un braquage chez Megan Fox. Plus tard, arrivé dans le closing de la star, Marc, le seul mâle de la bande (pour le coup très féminisé) explique à Sam (Taissa Farmiga) qu'une robe léopard avec des talons zèbres, c'est juste pas possible. «C'est du Balmain !» se réjouit Chloé devant une des robes de Paris Hilton. La réalité, la leur du moins, saute aux yeux comme un constat tragique d'une jeunesse qui ne la connaît pas. Ils reconnaissent toutes les grandes marques, c'est leur monde, au même titre que l'actualité platonique de leurs icônes préférées : Paris Hilton, Lindsay Lohan, Kim Kardashian, qu'elles singent et dont elles ont assimilées tous les comportements. «Je veux faire du caritatif, contribuer à la paix.» raconte Nickie à Vanity Fair, venu l'interviewer après le scandale des cambriolages. Tout ça est pathétique, clairement, et expose le culte de l'argent, de la célébrité, de l'égo à des niveaux sidérant qui, du coup, frôle inévitablement l’écœurement.

Bien que son intention initiale soit de représenter les stigmates d'une époque élevée à l'âge des réseaux sociaux et du «Moi, je.», Sofia Coppola commet l'erreur, inverse, d'en ressortir fascinée et, dès lors, de donner l'impression de tout cautionner. Un jugement de valeur qu'elle s'est pourtant défendue d'installer mais qui transpire de toutes les scènes qu'elle a tournée : "Il est certain que je les observe avec une certaine distance – il y a un aspect critique à cette démarche. J’ai le sentiment qu’on peut se faire avoir par le côté ado/éclate/enfants terribles alors j’espère que je ne sublime pas trop leur conduite répréhensible. Je crois qu’il y a un mélange de sublimation et de critique dans le film, mais qu’il offrira finalement au public matière à réflexion."

Cette critique, ce point de vue, c'est justement ce qui manque à ce Bling Ring qui a bien du mal à se positionner, même subtilement, devant le vide nombriliste de ces ados gavés au Xanax et à la télé-réalité. Cette «distance» qu'évoque la metteur en scène, celle qu'elle s'est imposée, c'est son aveu de culpabilité, renforcé par sa décision symbolique de tourner chez la véritable Paris Hilton, comme elle l'atteste, étonnamment enjouée : "C’était vraiment très excitant de tourner dans l’armoire à chaussures de Paris Hilton, je me suis sentie dans mon élément. C’était un décor tellement exotique".

Il y a, du coup, une contradiction gênante entre le sentiment, pervers, de la réalisatrice à sur-filmer ce monde superficiel et tous les signes de rejets qu'elle impose aux spectateurs. Parce qu'il y a dans The Bling Ring cette intention de surexposer, de gaver aux signes extérieurs de richesses, à l'image de toutes les valeurs inculquées à ses quatre lolitas déconnectées de toutes réalités. Cette répulsion, de fait, à ses individus symboles d'une jeunesse Américaine névrosée n'offre aucune chance de les aimer, encore moins d'éprouver un quelconque sentiment à leur chute qu'on espère viscérale mais qui, à l'inverse, se révèle assez convenue. C'est peut être là l'erreur, à trop rechercher l'authenticité générationnelle, The Bling Ring s'empêche toutes formes de subtilités, notamment via l'angle du portrait, entraperçu, récemment, dans le sublime Spring Breakers.

L’œuvre de Sofia Coppola a d'ailleurs une ressemblance innée avec le chef d’œuvre de Korine : dans sa manière de traiter la jeunesse Américaine il épouse les mêmes codes, les mêmes malaises. Cet effet miroir ne s'arrête pas là, qui a vu les deux films reconnaîtra aisément les similitudes artistiques et les ambitions analytiques se cachant derrière les portraits de ces deux groupes féminins. Les mêmes constateront ce qui les sépare : Spring Breakers avait su s’imprégner des codes de ceux dont il parlait sans esquiver la critique qui s'y attachait. N'hésitant pas à allier le fond, la forme, en entrecroisant la poésie d'une mise en scène inspirée à la narration crépusculaire d'une véritable descente aux enfers. Tout ce que n'a pas osé faire ce Bling Ring, étonnamment formaté, victime du sujet qu'il emprunte dont il n'a pas su, à trop s'y détacher, parfaitement l'épouser.
Nicolas_Chausso
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le 13 oct. 2013

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