Beaucoup de critiques de The Bling Ring posent la question suivante : comment parler, montrer le vide sans le transmettre brut au spectateur ? Et la plupart de ces critiques pointent le fait que Sofia Coppola a échoué à dépasser la superficialité de son sujet pour aller au fond des choses. Un peu comme avec Somewhere où, en parlant de l’ennui et de la dépression, elle finissait par faire bailler le cinéphile… Cette idée que la réalité est toujours composée de deux couches – ce qui s’offre directement aux sens et ce qui est caché en profondeur – est maladroite et The Bling Ring tente justement de montrer que la forme et le fond peuvent fusionner au point de ne faire plus qu’un. Comme vous vous en doutez, ça va spoiler, yeux en quête d’innocence s’abstenir !


Le tour de force du film est d’offrir une image crue de son époque. Pas de toute son époque, pas de tous les êtres humains qui foulent la terre, mais bien d’une certaine culture : américaine, décadente, bercée par le chant du succès triomphant. Les personnages ne sont pas « profonds » et sont « interchangeables » ? Cela signifie simplement que dans cette culture les individus sont purs apparence et sont les produits d’une industrie générique de la condition humaine. Le fait que les héroïnes et le héros n’aient en fait aucune raison de voler ces stars et, qu’une fois pris, ils se réfugient dans leur célébrité dérobée ne veut pas dire que le scénario est défaillant ; au contraire, il s’amuse à monter un phénomène par l’exemple.


La structure de l’histoire, quand on y réfléchi, est ultra classique : un jeune débarque dans un nouveau lycée, il est relativement marginalisé (Coppola rend compte de cette étape très rapidement et cela peut indiquer que même l’origin story est de trop dans cet univers de façades), il rencontre des compagnons (ici des compagnes) et ils vont « partir à l’aventure ». Je trouve vraiment intelligent d’avoir repris ce récit initiatique basique et de l’avoir complètement détourné pour prouver qu’il peut aussi servir de descente aux enfers. Au niveau de la réalisation cela se traduit par une ambiance de plus en plus déplaisante lors des cambriolages et un comportement de plus en plus débridé chez les ados. Les efforts pour traiter Internet, par ailleurs, donnent l’un des résultats les plus probants que j’ai pu voir au cinéma sur les nouvelles technologies.


Puisqu’on sait depuis le début comment ça va finir, Coppola sait qu’elle ne doit pas surprendre le spectateur, elle doit le fasciner. Et je crois que c’est ici que la plupart des gens qui se sont retrouvés devant The Bling Ring n’ont pas accroché : ils voulaient une explication, une justification et elle ne leur a offert qu’une série de comportements superficiels… Dans le film, la forme est le fond. Son message est justement que cette culture très particulière finit par aboutir sur une oblitération complète de l’humanité des personnages qui sont réduits aux stéréotypes qu’ils vénèrent eux-mêmes dans le film. Une mise en abyme en somme.


Un mot sur le rôle d’Emma Watson qui est d’une ironie mordante. Elle fait plusieurs discours dans le film sur ses activités « humanitaires » et sur ses conceptions du monde : il faut plus de justice et de paix, elle veut devenir un leader moral pour son époque… le miel de sa bouche remplace le fiel de ses actions. Je m’étonne que la plupart des gens ne relèvent pas la critique très violente du rôle « politique » des stars qui se cachent derrière le choix du casting (Watson étant le porte-drapeau de plusieurs causes à la mode) et le traitement de la « charité » et du « développement personnel » dans le film.


Évidemment, The Bling Ring souffre plusieurs défauts : sa bande originale m’a rapidement rendu fou (mais bon, la musique est aussi un moyen d’ancrer cet univers), les thèmes de l’adolescence et de la sexualité sont bizarrement (peu) traités alors que Coppola n’arrête pas de les frôler indirectement. Je crois que son plus gros défaut est sa plus grande qualité : c’est un de ces films qui veut incarner les sentiments qu’ils traitent. Sur ce point, c’est une réussite totale. Mais ce qui perd du coup les spectateurs c’est l’absence de repère moraux alternatifs et, d’une manière générale, de morale dans une histoire qui parle de sa disparition. Je n’arrive pas à en vouloir à Coppola d’avoir choisi ce traitement presque documentaire et sans doute caricatural parce qu’au final, on peut choisir de faire des films pour, contre ou sur. Elle a choisi la troisième proposition, la plus ingrate et en même temps la moins risquée. Ça ne fait pas de The Bling Ring un bon film mais ça en fait un film réussit, ça n’en fait pas un film agréable à regarder mais un film qui approche la vérité qu’il se promettait de présenter. C’est déjà beaucoup.


En une phrase : souvent juste, parfois vain et toujours perturbant.

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le 2 juil. 2015

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smiree14

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