Un Chasseur, un tueur : cantique de la rédemption
Surprise au box-office sud-coréen de cette année 2008, hit immédiatement courtisé par la Warner Bros pour une sortie internationale, le sadique The Chaser débarque enfin sur nos écrans. Succès mérité ? Inégal mais porté par une logique de suspense implacable, une violence sèche et une douloureuse quête de rédemption, le film de Na Hong-Jin atteint son but : il n’est pas votre "average flick" que vous materez pour passer le temps, une grappe de pop-corn à la main. Si Trainspotting passait à quiconque l’envie d’essayer l’héro, The Chaser dissuade quiconque de s’essayer à la prostitution. Non, pas qu’à Séoul.
Séoul, justement, de nos jours. Ancien détective passé proxénète par esprit pratique, Joong-Ho a connu des jours meilleurs : ces derniers temps, plusieurs de ses filles ont taillé la route sans laisser d’adresse alors qu’elles ne lui avaient pas encore donné tout ce qu’elles gagnaient. La nuit est jeune : excédé, en manque de main d’œuvre, il en envoie une chez un client, sans se soucier qu’elle soit malade. Mais rapidement, seul à sa paperasse, il réalise que le même client a appelé chacune des "traîtresses" avant qu’elle ne disparaisse. Persuadé qu’il s’agit d’un concurrent qui a revendu ces dernières, Joong-Ho se lance à sa recherche. Conscient que la fille qu’il vient d’envoyer est en ce moment même chez ce client. Ignorant que ce client s’apprête à la massacrer, comme les onze précédentes. La nuit est jeune… elle sera donc longue.
Le film de tueur en série est devenu, au fil du temps, un genre à part entière, avec ses codes quasi-incontournables et ses clichés… évitables, tous attendus et appréhendés par les cinéphiles. Les adaptations de faits réels sont-elles à placer dans le haut du panier ? Pas forcément, ces dernières étant souvent très libres (cf. Massacre à la tronçonneuse), et les plus populaires serial killers du cinéma, des objets de pure fiction (Hannibal Lecter du Silence des agneaux, Patrick Bateman d’American Psycho, Michael Myers de Halloween). Les biographies fidèles, tels Henry, portrait of a serial killer ou encore l’australien Chopper, bien que très réussies, ne rivalisent pas avec un John Doe de Seven, et quand bien même elles seraient des succès : la plupart du temps, sauf cas particulier comme ceux du Zodiac de David Fincher et du sud-coréen Memories of murder, le succès d’un film du genre n’aura pas grand-chose à voir avec la réalité des faits relatés. Le présent article éludera l’influence possible sur le récit de l’histoire de Yoo Young-Chul, tueur en série sud-coréen et cannibale autoproclamé croupissant actuellement dans les geôles de son pays pour les meurtres d’une vingtaine de personnes, prostituées et riches propriétaires, commis entre 2003 et 2004. Mais même sans ce sacré Yoo, qui, en regardant The Chaser, aurait la bêtise de trouver un quelconque réconfort dans l’idée que "tout cela n’était que de la fiction" ?
Personne, car la notion même d’assassin imprenable, de grande faucheuse improvisée dans la civilité urbaine, suffit à faire peur. A la condition express de plonger l’action dans un décor auquel le spectateur s’identifiera. Bonne nouvelle : avec ses personnages cassés, sa gamine douloureusement crédible, ses couloirs narratifs rarement empruntés au cinéma, et sa fusion d’horreur balisée et d’apathie générale glaçante de réalisme, The Chaser scotche. Et à la fin, en dépit d’une bien malheureuse ficelle scénaristique, alourdit le spectateur d’un malaise imperturbable, que l’on n’aura pas ressenti depuis Memories of murder de Bon Joon-Ho, encore lui. Tiens, d’ailleurs, est-ce un hasard si le jeune réalisateur de The Chaser a été appelé "le nouveau Bong Joon-Ho" à la sortie du film ?