Après avoir revu Memories of Murder, c'est intéressant de voir à quel point The Chaser traite un sujet similaire, celui du serial killer, avec autant de différences. Ici, contrairement à l'autre, pas ou peu de psychologie, aucune rupture de ton (c'est sombre de bout en bout), un proxénète que l'on suit comme personnage principal (présenté comme un salaud de première, anti-héros par excellence qui cherche juste au début à retrouver ses "filles" qui ont soit-disant pris la poudre d'escampette avec son pognon), et surtout un psychopathe des plus maladroits et négligeants, qui dévoile dès son premier interrogatoire son identité véritable (énorme cette scène, j'adore son petit sourire qui semble dire "hé ben ouais c'est moi qui l'a fait, et alors, où est le problème ?").


Ainsi, The Chaser va à contre-courant de la plupart des codes du polar. Ce que j'avais identifié comme grosses ficelles la première fois que je l'ai vu (je pense surtout à la façon dont le psychopathe et le proxénète se rencontrent par hasard) sont surtout la marque d'un psychopathe à l'esprit imprévisible et tortueux, maladroit par-dessus le marché. J'étais donc bien plus impliqué cette fois-ci, bien qye je n'y vois pas encore le chef-d'oeuvre tant décrié. J'aime tout particulièrement l'évolution de l'histoire et des enjeux, à savoir comment cet anti-héros antipathique mais tout de même charismatique (super acteur) retrouve une certaine humanité via la jeune fille de la victime. Séquences pas toujours subtiles (la fille arrive à chaque fois au mauvais moment lorsqu'on parle de sa mère, de son métier, et de ce qu'elle a pu subir), mais bien mises en scène (la façon dont elle finit par réaliser, caméra à l'extérieur de la voiture, est puissante tout en évitant le pathos).


Comme la plupart des polars sud-coréens, il s'agit aussi d'une satire mordante contre les forces de la police. Plus efficaces pour attraper un jeteur de merde contre un officiel ou éviter les scandales politiques, que pour choper un tueur de prostituées se trouvant pourtant devant eux et lâchant le morceau sans trop de problèmes. Mais c'est très différent de Memories of Murder où dans ce dernier on les accuse de fabriquer des preuves, de molester pour rien ce psychopathe, alors qu'ici, le spectateur est omniscient, et donc ce dernier est plutôt frustré qu'on ne donne pas tous les moyens possibles pour retrouver la pauvre victime qui se traîne dans sa propre flaque de sang. Seulement, si cette fameuse séquence renforce le sentiment d'urgence (autre différence par rapport à MOM, où au contraire le temps se dilate) du protagoniste principal - notamment mis en scène par des courses-poursuites haletantes -, et si ça nous conduit à une scène finale ultime qui fait bien mal, c'est quand même gros comme une maison (la seule grande réserve que je garde en termes d'écriture).


Outre le casting parfait, Yun-seok Kim et Ha Jeong-woo en tête, la réalisation est aussi étonnamment bonne pour un premier essai. L'aspect labyrinthique des ruelles de Séoul est bien rendu, et contribue au sentiment des personnages de s'y perdre, la photo-réaliste apporte un côté poisseux, sombre, et désespéré à l'ensemble (tout particulièrement cette salle de bains, lieu des sévices, absolument glauque), et enfin plusieurs séquences sortent du lot en termes de mise en scène (les courses-poursuite, la découverte du mur et sa symbolique christique, le jeu sadique du marteau qui peine à trouver sa cible, la scène finale qui est comme un exutoire pour le tueur). De mémoire, la violence était plus insoutenable (on est très loin de J'ai rencontré le diable), bien que cash et sans concession avec des petits détails trashy, mais c'est surtout l'atmosphère presque irrespirable que je retiens, ces nombreux obstacles (l'environnement urbain difficile, l'imprévisible tueur, cette pression sur les épaules de la police) à une enquête qui prend un tour de plus en plus humain et (op)pressant.


Bref, un film avant tout porté par son duo principal d'acteurs et une écriture qui s'amuse à déjouer les codes d'un genre si souvent balisé, presque sadique avec le spectateur qui sait tout d'emblée mais devient aussi impuissant que ses personnages principaux à éviter l'inévitable. Bref, une révision qui fait du bien.

Arnaud_Mercadie
7
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le 10 mai 2017

Critique lue 258 fois

3 j'aime

Dun

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