Si comme moi vous êtes sorti d'un cursus universitaire qui a impliqué que vous passiez les vingt premières années de votre vie à l'école, il se peut que vous ayez la même culture que moi sur les dictatures. Vous savez donc que le terme même fut inventé voilà des millénaires dans ce qui était à la base une république qui, lorsqu'elle se sentait menacée, confiait tous les pouvoirs possibles à un seul homme dans l'espoir que celui-ci la sauve. Mais nous ne sommes plus dans ladite république et depuis les millénaires qui nous séparent d'elle, le mot a évolué pour recouvrir tout régime dans lequel un homme, souvent appuyé par les militaires, prend le pouvoir et impose sa loi à tout le monde sans que personne n'y puisse rien redire. Bref, si vous êtes comme moi, une dictature ou une tyrannie est un terme qui désigne pour vous la pire des injustices, puisqu'un homme a le droit de regard sur tout ce que vous êtes, faites, envisagez de faire et ainsi de suite.


Mais comme le dit la Boétie lorsqu'il nous parle de servitude volontaire, il y a quand même quelque chose qui cloche : le tyran est seul et ses victimes innombrables. Comment se fait-il que celles-ci ne se révoltent pas? Réponse du même auteur : en faisant en sorte que des milliers de petits bourreaux aient intérêt à le soutenir et l'aident à martyriser son peuple. Deuxième question avancée par ce film: peut-on aller encore plus loin, peut-on imaginer une dictature sans dictateur? Cette question est bien sûr rhétorique, puisque le film va y répondre lui-même et sa réponse est un grand oui. Pour cela, il suffit de convaincre la majorité qu'il est dans son intérêt de tout savoir, de tout connaître sur tout le monde, tout le temps.


Il faut aussi leur donner les moyens d'obtenir cette information, ou du moins de militer pour son obtention. C'est là qu'intervient the Circle, entreprise s'étant donnée pour but de tout centraliser, des données de ses utilisateurs aux démarches administratives, en passant par les activités sportives, le règlement des factures et les visites médicales, bref tout ce qui avant prenait des jours du fait de la dispersion des informations est désormais accessible en un clic via son compte the Circle. En plus de cela, il s'agit d'une entreprise ultra-moderne qui se donne une image cool ; alors forcément, quand à la sortie de son école de magie, Emma Watson galère dans une entreprise quelconque, elle saute au plafond en apprenant qu'une amie lui a obtenu un entretien pour entrer dans le cercle très fermé des employés de cette si génialissime entreprise.


Sauf qu'évidemment quand l'entreprise est aussi cool, il faut devenir cool soi-même. Donc mettre à jour son compte avec tout ce que l'on peut, marquer tous ses centres d'intérêts, les maladies de ses parents et les siennes, son régime alimentaire... la critique est évidente et d'autant plus grinçante qu'Emma y est forcée pour ne pas perdre son travail. Et l'entreprise ira de plus en plus loin dans cette volonté d'abolir les barrières de la vie privée et de la vie publique, jusqu'à marteler "les secrets sont des mensonges". Enfin, l'entreprise en question étant gérée par un soi-disant génie qui a en fait volé le travail d'un autre pour le détourner, toute ressemblance avec une entreprise qui fabrique des ordinateurs frappés d'un fruit amputé n'est pas si fortuite que cela. Sauf que si les dirigeant de The Circle sont pourris jusqu'au trognon, il n'en demeure pas moins que leur pouvoir repose sur l'approbation de leurs employés/clients, métaphore subtile...


Mais assez parlé de the Circle l'entreprise et examinons plutôt the Circle le film. Le schéma est relativement classique, le film ne se dépense pas des masses en originalité. L'héroïne intégrant une société qu'elle croit d'abord bonne et qui va s'avérer mauvaise, d'où le besoin de la renverser, rend prévisible la fin comme le déroulé des événements. Par ailleurs, la multiplication des personnages-fonctions rend lisse la narration, puisqu'elle empêche, en se focalisant sur Emma seule, de vraiment s'attacher aux personnages et donc d'éprouver de l'empathie pour eux lorsqu'ils se retrouvent dévorés par cette tyrannie de l'image.


Mais autrement, le film est génial, en ce qu'il finit par envoyer valser les codes. La fin nous prive ainsi du happy end qu'on aurait voulu, de façon a nous mettre volontairement mal à l'aise. C'est que le film a un message à nous faire passer : ce ne sont pas les capitalistes ou les politiques qui font la stupidité du monde, ni d'ailleurs les chefs des multinationales. C'est nous autres, consommateurs, qui par notre passivité et notre goût du voyeurisme, permettons à la tyrannie d'internet d'exister. Chacun de nous est un tyran, en puissance lorsque nous ne faisons rien, en acte lorsque nous nous connectons. Et bonjour la dystopie...


On regrettera tout de même qu'un film se voulant aussi engagé se contente de renverser les codes à partir de son dernier acte. Il aurait pu aller bien plus loin encore, même si son côté malsain est très bien réussit. Le problème est qu'il est plat dans la plupart des scènes et que cette mode de "l'actress porn", consistant à prendre une personne connue et à la mettre dans 99,9% des plans, ne convainct pas, parce que cela met à mal l'importance des relations entre les personnages pour faire du héros...et bien un super-héros justement, moteur de toutes les actions du film. C'est le cas ici, un paradoxe pour un film qui porte sur l'effacement de l'individu. A voir quand même, ne serait-ce que comme mise en garde et pour ne pas se retrouver avec une société qui tourne en rond.

Pulsar
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le 14 juil. 2017

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