Ayant découvert Alex Proyas avec le très bon Dark City, c'est avec enthousiasme que je me suis jeté sur The Crow, son deuxième film (après l'obscur Spirits of the Air, Gremlins of the Clouds).
The Crow aurait pu être une catastrophe comme on en voit très souvent. Quand on s'aperçoit que toute la frange gothico-émo-punk adolescente et boutonneuse adule ce film, on n'est pas vraiment rassuré. L'histoire ne tient que sur un petit bout de papier : c'est très simple et particulièrement basique (une histoire de vengeance, pour faire court). Mais ce fait-là permet au réalisateur de s'éclater un maximum. Il n'est pas obligé de suivre à la lettre les instructions données par les scénaristes (ou par lui-même) ou de faire des concessions.
The Crow est, premièrement, un pur plaisir visuel. L'imagerie gothique est travaillée à la perfection, que ce soit cette ville semblant être hantée par le vice (un aspect qu'on retrouve dans Dark City) ou ces habitants, eux-aussi pervertis comme jamais. C'est particulièrement visible avec la mère de la petite Sarah, préférant s'envoyer en l'air et se droguer au lieu de s'occuper de sa gamine.
The Crow aborde des thèmes sociaux, et apporte une réflexion tantôt virulente, tantôt complexe. Eric Draven, interprété par Brandon Lee (on y reviendra plus tard), n'est pas qu'un symbole de vengeance, c'est aussi un ange, un ange salvateur, cherchant à éradiquer le crime et la pourriture environnante. Pour ça, il n'y a qu'une solution : tuer. Combattre le feu par le feu, comme disait Metallica.
Eric Draven est donc un homme meurtri, dévasté par la mort de sa femme (la sublime Sofia Shinas). Il ne vit que dans le passé, matérialisé sur l'écran par de nombreux flash-backs, souvent très intenses. Ses premières apparitions sont d'une force incroyable, Brandon Lee donne une dimension phénoménale et inédite à son personnage, jouant avec les émotions avec brio et classe (ses petits sourires). Ses retrouvailles avec la petite Sarah lui donneront un côté humain, qui était perdu dans les abîmes de la haine. Eric Draven apparaît enfin sous son vrai jour, et délaisse son alter-égo, The Crow, métaphore de la vengeance suprême et de la colère profonde.
Son maquillage n'est pas qu'un déguisement, utile pour se cacher et ne jamais se dévoiler.
Pourtant, l'homme se laisse aller quelques fois, poussant des cris déchirants, le visage marqué par une tristesse palpable. C'est d'ailleurs la principale force de ce film, il arrive à transmettre énormément de choses, en particulier des sentiments négatifs. Brandon Lee en est la raison première. Je le redis, sa performance est hallucinante. Ne tombant jamais dans la grand-guignolesque lourdingue, il insuffle à chaque apparition une sorte de beauté noire et mélancolique (qui colle très bien au film). Grand vengeur, ange salvateur, corbeau de cauchemar, amoureux désillusionné... les mots sont nombreux pour le qualifier. Brandon Lee est The Crow, The Crow est Brandon Lee.
The Crow est aussi un film d'action très jouissif. Entre des échanges de coups de feu digne d'un Robert Rodriguez sous speed, des combats portés avec un nombre impressionnant d'armes (sabres, couteaux, poings), des cascades renversantes, on est servi comme des petits chefs. Proyas ne tombe jamais dans le too much, sachant dosé parfaitement l'action, qui s'accouple de ce fait, avec magie au côté dramatique. La mise en scène (comme dans Dark City) est à saluer, tout comme les ralentis, tout simplement ahurissants.
Proyas arrive à inscrire son film dans un véritable univers. La ville, comme je le disais avant, est bien entendu l’élément le plus visible, mais les personnages ne doivent pas être oubliés. Tous les styles vestimentaires de l'époque sont représentés ; hard-rock, gangsta rap, gothique romantique etc. Que de diversités ! Une chose qui permet à The Crow de gagner en crédibilité et en ouverture esthétique. Même si l'influence gothique est palpable, elle n'est jamais omniprésente, ce qui permet de ne pas faire une overdose du style.
Soulignons aussi les autres acteurs, en particulier le machiavélique Michael Wincott (jumeau de Heath Ledger, quelle ressemblance !) endossant avec brio le statut de grand méchant incestueux et funny. Car oui, The Crow n'est pas totalement noir. Il propose quelques moments assez amusants car complètement stupides (les dégaines de ces bad-boys tout en cuir, quelques répliques). Un fait qui sert de relâchement à l'action.
The Crow mérite son statut de film culte. Porté par le formidable Brandon Lee (mort sur le tournage), le long-métrage est un plaisir d'une noirceur et d'une beauté peu communes sublimé par une bande-son à la fois énergique et magnifique.
L'amour est plus fort que tout, peut-on tirer comme moral. Mais l'amour peut tuer, ajoutera t-on.