Comment parler de ce film sans s'en référer à la disparition de sa star ?
Je ne sais pas, vous dirais-je...


Alors, je passerai outre le pourquoi du comment de sa mort et me contenterai de faire un parallèle avec Heath Ledger. Car il y a quelques connections, à mes yeux.
Premièrement, ces deux jeunes acteurs ont laissé pour héritage un film testament, où une certaine noirceur mâtinée de violence prédomine.
Tous deux ont su aller au-delà de ce qu'on attendait d'eux, pour nous donner deux personnages torturés inoubliables.
Lorsque leurs candidatures pour des rôles aussi emblématiques qu**'Eric Draven** et le Joker, beaucoup de voix se sont élevées contre ces choix à-priori contre-nature: Brandon Lee n'avait auparavant fait que des films sans grande envergure et portait le lourd fardeau d'une hérédité encombrante, quant à Heath Ledger, sa blondeur angélique et ses rôles passés ne le prédisposait aucunement à endosser un personnage aussi sombre.
Pour en finir avec ça, ils ont quitté la scène au même âge, soit 28 ans...


Maintenant que j'ai évacué le côté tragique de ces deux étoiles montantes (auraient-ils réussi à faire mieux s'ils étaient toujours parmi nous ?), intéressons-nous au film proprement dit.


Vous connaissez sûrement tous la genèse du comics, donc je ne m'y attarderai pas un instant.


C'est sous l'égide de la Paramount que le film est lancé. D'abord conçu comme un musical ayant pour vedette Michael Jackson (!!!), l'arrivée de Proyas puis de Lee lança véritablement la machine.
James O'Barr (le créateur du comics) a d'abord sévèrement tiqué en apprenant que Brandon Lee allait revêtir le trois-quart en cuir de son Draven. En effet, ayant vu les précédents films du fils de Bruce, il craignit que l'adaptation filmique ne se transforme en kung-fu movie totalement hors-sujet.
Mais une fois qu'il eut vu le jeune acteur costumé, maquillé et déclamant les répliques du comics, O'Barr fut littéralement soufflé.


La production du film se fit en Caroline du Nord, pour échapper aux divers syndicats du milieu du cinéma et ainsi, pouvoir travailler de manière plus "libre" (entendez plus d'heures de travail et gestion moins stricte des paiements, aux dépens de l'équipe de tournage).
Cependant, au lieu d'économiser quelques sous, ce fut l'effet inverse puisqu'un ouragan détruisit tous les décors en extérieur. Ils durent donc tout reconstruire dans des hangars (plus d'argent à dépenser, donc) mais se rattrapèrent sur le fait qu'ils pouvaient tourner 24/24 vu que la totalité du film se passait de nuit. Et quoi de plus facile que de simuler la nuit dans un hangar, même s'il fait jour au dehors !


Tournant le film de manière non-linéaire, un premier bout-à-bout fut présenté aux producteurs mais ceux-ci arguèrent que le film était trop long (2h01, réduisant donc les séances cinéma hebdomadaires) et trop violent.
Ainsi, 20 minutes furent coupées. Les scènes où apparaissaient Michael Berryman (The Hill Have Eyes) dans le rôle du Skull Cowboy (le "guide" de Draven pour son retour dans le monde des vivants) furent purement et simplement éliminées de l'équation. D'autres scènes furent raccourcies (beaucoup concernant le couple Eric/Shelly dans les flashbacks) ou déplacées.
Et survint l'accident qui coûta la vie à Brandon Lee...


Paramount Pictures se désolidarisa alors du tournage et une nouvelle compagnie de production vit le jour, pour racheter et terminer le long métrage (Entertainment Media Investment Corporation).
Etant donné que Lee n'avait pas achevé de tourner ses scènes (3 jours de tournage restaient encore à faire), le scénario fut réécrit et c'est à l'aide d'effets digitaux que le visage du jeune acteur fut greffé sur une doublure.
Ainsi, la voix-off fut rajoutée et quelques nouvelles scènes furent tournées (la scène où Draven se maquille puis va jusqu'à la fenêtre et quelques autres petits ajouts ici et là) pour pouvoir compléter le film correctement.


The Crow est donc un film malade contenant quelques trous narratifs et la MPAA demanda en plus, quelques coupes pour en atténuer la violence (Draven reçoit maintenant 2 balles au lieu de 5, même traitement pour la mort de Gideon, la fusillade au-dessus de la boite de nuit se voit aussi raccourcie sur les impacts de balles, la scène où Mica se fait crever les yeux perd quelques plans...).
Cela dit, il s'en dégage quand même une atmosphère gothico-mélancolique magnifique, le sens visuel de Proyas est sublime (et dire qu'il a pondu l'infâme God of Egypt, je n'en reviens toujours pas...), le score de Graeme Revell est en adéquation parfaite et bien sûr, il y a le charisme fou de Lee.
Celui-ci traduit à merveille la complexité de son personnage et ce, sans appuyer ses effets. D'un regard ou d'un geste, on ressent immédiatement ses sentiments, sa colère, sa détresse, son amour...
J'ai aussi remarqué quelque chose que je n'avais alors jamais saisi: lorsqu'il va récupérer la bague de Shelly, la voix et l'intonation de Brandon m'a frappé de par sa ressemblance avec celle de son père. Oui, il parle de la même manière que Bruce Lee le faisait lors de ses interviews: d'une manière docte et en détachant avec soin ses syllabes. Chilling !


Outre la tragédie intrinsèque que causa la mort de Brandon (et qu'on ne peut pas totalement occulter en regardant le film), force est de constater que The Crow est avant tout une belle et sombre histoire d'amour, mâtinée de vengeance implacable. Même si le cut cinéma atténue la portée du long métrage, les restes justifient à eux seul une vision immédiate, pour ceux qui ne l'auraient encore jamais vu.


The Crow aurait-il eu le même impact sans la mort de sa star principale ? Je ne sais pas...Mais ça reste du domaine du possible, d'autant que les critiques furent plutôt positives aux States lors de sa sortie. Même Roger Ebert (pourtant assez tatillon envers la violence à l'écran) en avait dit du bien, c'est dire !


Mais voilà, ce triste fait divers est bien arrivé et j'eus cru à l'époque que personne ne retoucherait plus à The Crow.
C'est donc une hérésie de voir que 2 ans plus tard est arrivé le sinistre The Crow: City of Angels, puis un jeu vidéo lamentable, une série télé, un téléfilm, deux autres films et l'inévitable putain de reboot à venir (qui sera sûrement suivi de prequels, d'une autre série TV, d'un autre reboot, d'un spin-off du reboot and...)


Well, "it can't rain all the time and all those moments will be lost in time...like tears in the rain"


The Skull Cowboy


https://www.youtube.com/watch?v=1mkxnApKuZA

Franck_Plissken
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le 3 sept. 2018

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The Lizard King

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