Je me souviens qu’une des premières fois où je me suis rendu compte du pouvoir du montage dans un film, c’était en voyant un bonus sur Le silence des agneaux, où il était expliqué que le montage alterné entre Clarisse qui arrive chez Buffalo Bill et la descente du FBI n’était pas prévu ainsi à la base, et a été pensé en post-production.
C’est justement la fascination de tout ce qu’on peut créer, par le montage, qui m’a donné envie d’en faire mon boulot ; et évidemment, de temps à autres, ça m’intrigue de savoir ce que des monteurs chevronnés ont à dire sur leur métier.


Evidemment, avec un film qui traite du montage, on va avoir tendance à faire davantage attention à cet aspect, et à se montrer très critique. Mais The cutting edge est bien rythmé et, plus important, il est bien structuré, alors que c’est généralement ce qui fait défaut à de nombreux documentaires, car à défaut de suivre une trame prévue à l’avance, toute la construction se fait en post-production.
Le film comporte un récapitulatif historique, des témoignages, et des études de cas, mais sans être compartimenté, ce qui n’empêche pas que l’on passe d’une partie à une autre de manière tout à fait fluide. La progression se fait de manière logique d’un thème à un autre, par exemple justement quand des monteurs nous expliquent que dans la plupart des cas, mieux ils font leur travail, moins celui-ci se fait sentir, le film enchaîne sur la situation des premiers monteurs ayant existé, qui étaient considérés comme des ouvriers et non des collaborateurs d’un processus créatif.
The cutting edge aborde de nombreux aspects du métier, et de nombreuses tendances, finissant même par prendre en compte cette mode contemporaine que je déteste, du montage surdécoupé, illustré par un extrait de xXx, où il doit littéralement y avoir 20 plans pour une seule cascade au ralenti. Le réalisateur cherche à se justifier en disant qu’il fait du cubisme…


Le choix des intervenants est parfois surprenant, ça passe aussi bien par ce genre de tâcheron que par Verhoeven, Joe Dante, Sean Penn, … Mais tous ont des propos pertinents.
Figure inévitable au vu du sujet : Walter Murch, monteur légendaire, qui intellectualise à fond sa démarche, et n’est pas à court de théories sur le montage. Il livre entre autres une métaphore que je trouve très jolie, sur le regard du spectateur : ça doit être comme une coupe remplie d’eau, qu’on doit transporter soigneusement d’un endroit à un autre (du cadre), sans la brusquer.
Bon sinon, à voir l’hystérie de Tarantino et ses maniérismes très irritants, comme s’il était tout le temps sous coke, ça m’a gêné de me rappeler qu’à une époque je l’appréciais. Je pense que j’aimerais toujours ses premiers films si je les revoyais, mais lui incarne vraiment un cliché insupportable. A côté de ça, c’est vraiment rafraichissant d’entendre le défunt Wes Craven, dont la voix est infiniment plus posée, et m’est bien plus attachant rien qu’avec sa petite histoire sur l’intérêt précoce qu’il a eu pour Hitchcock, juste par fascination pour l’ "interdit".


Le choix des extraits de films est quant à lui excellent, ils illustrent les paroles de manière à la fois divertissante et instructive. On trouve des études de cas captivantes, qui je pense ont de quoi fasciner aussi bien les initiés que les néophytes, car elles rendent bien compte du pouvoir des choix du montage, qui peuvent faire toute la différence quant à la qualité d’un film.
C’est marrant, j’ai retrouvé une anecdote sur Les dents de la mer, que j’avais lue quelque part, et que je ressors souvent quand j’explique l’importance du montage à quelqu’un : Spielberg raconte qu’il suffisait de deux images de plus ou de moins pour faire de son requin une créature effrayante ou un machin ridicule.
On trouve d’autres anecdotes captivantes sur de grands films, dont on ne se doute pas des dilemmes rencontrés en post-prod.


Certains propos ont sûrement de quoi surprendre le grand public, comme cette comparaison entre un mariage et une collaboration entre un monteur et un réalisateur. D’autres éléments me semble risquer de ne parler qu’aux gens du milieu, comme lorsque Murch explique préférer éviter d’être sur le tournage, pour ne voir que ce qu’il y a à l’écran. Je connaissais déjà un peu ses techniques de travail, mais le voir faire me rappelle à quel point il est dingue.
Les différentes méthodes des intervenants m’ont donné à réfléchir ; alors que pour certains, c’est une évidence qu’il ne faut pas laisser un acteur dans la salle de post-prod, j’ai été surpris que Sean Penn dise avoir impliqué Jack Nicholson sur The pledge, après le premier montage terminé.


Et d’un point de vue historique, j’ai appris pas mal de choses ; je n’y pensais pas, mais à la base, le montage n’existait pas, il n’y avait que des prises de vues en un plan. C’est Edwin Porter, assistant de Thomas Edison, qui a eu l’idée d’assembler des images pour créer une histoire.
The cutting edge m’a mieux fait comprendre l’importance de The great train robbery, que j’avais vu sans connaître le contexte de sa création, et ensuite, en abordant des progrès techniques et le développement de différents styles de montage, m’a également fait comprendre l’aspect révolutionnaire des œuvres de Griffith et Dziga Vertov (dont j’avais entendu parler, mais sans qu’on ait appuyé suffisamment sur l’aspect novateur du montage).


Qu’on soit déjà intéressé par le montage ou non, je pense que tout le monde peut trouver son compte dans The cutting edge, à partir du moment où on aime le cinéma.
Et comme souvent avec les documentaires de ce genre, ça m’a donné envie de voir ou revoir des films.

Fry3000
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le 10 mars 2017

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Wykydtron IV

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