Written and directed by a zombie, acting by zombies, etc.

Je n'ai pas pour habitude de m'étendre outre mesure sur des mauvais films car je trouve la démarche souvent stérile. Dans ce cas, le film est un tel cas d'école des dérives de la posture auteurisante qu'il mérite qu'on s'y attarde. Car il ne s'agit pas seulement d'un film paresseux et probablement réalisé avec pour principale perspective de passer un bon moment sur le tournage entre copains (ce qui le rapproche d'un L'aventure c'est l'aventure de Claude Lelouch, rien que ça). Il incarne surtout un certain parfum de nihilisme perceptible depuis quelques années dans le cinéma de divertissement, une odeur à peu près aussi repoussante que celle des morts-vivants qu'il recycle inlassablement.


On pourrait m'objecter que le cinéma de Jim Jarmusch ne peut en aucun cas être comparé à celui du divertissement, parce que c'est un auteur, etc. Mais le dernier-né de sa filmographie prouve encore une fois l'absurdité d'une séparation claire entre film d'auteur et film de divertissement. Après tout, le Carrosse d'Or à la Quinzaine des réalisateurs cette année, John Carpenter, est un auteur qui a toujours revendiqué qu'il cherchait avant tout à divertir avec ses films. À l'inverse, Jim Jarmusch dont le film a fait l'ouverture du festival de Cannes se revendique auteur mais sa proposition évoque le cinéma hollywoodien actuel sur beaucoup de points. En effet, il déploie tout d'abord un univers référentiel à la culture de masse (Star Wars, Le Seigneur des Anneaux, etc.) de manière aussi ostentatoire et assumée que, entre autres, Lego la grande aventure de Phil Lord et Chris Miller ou que Ready Player One de Steven Spielberg. Ensuite, il propose plus largement un registre second degré (notamment, les deux personnages principaux sortent des répliques genre : "j'ai lu le script") typique du cinéma à grand spectacle d'aujourd'hui, et notamment des films de super-héros Marvel.


Tout le problème est que ces deux sillons du cinéma de divertissement sont empruntés par le cinéaste sans la moindre inventivité. Pire, Jarmusch coche toutes les cases de la liste des chose à ne pas faire, tel un zombie : auto-citation en cascade qui brosse ses adeptes dans le sens du poil, comique de répétition lassant, sous-écriture des personnages qui en deviennent des caricatures du cinéma de Jarmusch, etc. Le pire de tout réside dans le sous-texte du film sur la société de consommation qui non seulement ne fait que reprendre celui de Romero, mais le fait en prenant le spectateur pour un imbécile : un narrateur vient lui expliquer littéralement dans la dernière scène du film qu'après tout, nous sommes tous des zombies, etc. Cerise sur le gâteau, tous ces défauts dévalorisent grandement le rythme lent de son cinéma, qui ne fait qu'irriter sans fasciner. Tout cela est d'autant plus dommage que le décor planté de cette petite ville américaine était un bon point de départ, tant les repères qu'il y sème, du motel au dinner, du fermier abruti incarné par Steve Buscemi au geek de la pompe à essence, constituaient un terrain de jeu plutôt accrocheur.


Si on peut donc dire que le cinéma de zombie a décliné depuis les années 2000 à cause d'un premier degré excessif, des derniers films de Romero à World War Z, Jarmusch le réinvoque en tombant dans l'excès inverse, qui est la nouvelle grande tare du cinéma de divertissement : croire que tout a été déjà été raconté, et qu'il suffit d'être désinvolte pour être génial. En prenant une telle distance, Jarmusch passe à côté du potentiel du film, qui aurait pu accentuer son registre pathétique comme pouvait le faire Shaun of the dead, ou à défaut faire une proposition politique plus recherchée. Finalement, en assumant de manière bien plus décomplexée son statut de divertissement, Bienvenue à Zombieland de Ruben Fleischer dont la suite est annoncée pour la fin de l'année réussissait il y a dix ans là où Jarmusch échoue en terme de comédie d'horreur. Il jouait sur les références sans surenchère en faisant déjà surgir Bill Murray dans un rôle plus modeste mais bien plus marquant. Surtout, il savait doser le second degré pour que celui-ci ne vienne pas tuer dans l’œuf la moindre empathie.

Marius Jouanny

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