Film d’ouverture du dernier Festival de Cannes, The Dead Don’t Die n’aura pas mis longtemps à s’attirer les foudres de la critique, aussi bien de la presse que des spectateurs. Les uns se sont jetés dessus car, syndrome post Walking Dead oblige, il y avait des zombies et ils avaient envie d’avoir leur dose sans même connaitre le cinéma de Jim Jarmusch. Grosse déception. Les autres voulaient voir le nouveau film de Jim Jarmusch mais, oh my god, pourquoi avoir mis des zombies là-dedans !?! Où sont les émotions !?! Grosse déception. C’est du moins ce que j’ai pu ressentir à la lecture des moult avis ci et là avant qu’on se décide à aller le voir par nous-mêmes dans notre petit cinéma du coin. Même si je connais peu le cinéma de Jarmusch (je n’ai vu que Dead Man et Ghost Dog), je connais malgré tout son style. Et je connais très bien le cinéma « zombiesque » pour m’être enquillé des dizaines et des dizaines de films de morts vivants affamés de chair humaine, ce qui m’a permis de développer une préférence pour ceux qui sortent un minimum du lot. Il y avait donc de grandes chances pour que The Dead Don’t Die me plaise. Ce fût le cas. Mais je comprends aisément qu’il puisse provoquer chez le spectateur un rejet total tant il est assez spécial, assez difficile d’accès au final.


Jim Jarmusch va faire appel à un casting trois étoiles, avec lequel il a déjà travaillé dans ses films précédents. Que ce soit Steve Buscemi, Bill Murray, Tom Waits, Adam Driver, Chloë Sevigny, Rosie Perez, RZA, ou encore Tilda Swinton, tous ont déjà dans leur filmographie au moins une bobine de Jarmusch. Ils sont les protagonistes de cette nouvelle histoire de zombies, qui vont faire leur apparition ce coup-ci dans la petite ville de Centerville. Des évènements étranges vont commencer à survenir. Le cycle jour / nuit va complètement se dérégler, les animaux domestiques vont fuir leurs habitats et se réfugier dans la forêt, les téléphones vont soudainement se mettre à ne plus fonctionner, et des corps sont retrouvés, mutilés, comme s’ils avaient été attaqués par une bête sauvage, ou… plusieurs bêtes sauvages. Ces bêtes sauvages s’avèreront être au final des morts qui auront repris vie, s’extirpant de leurs tombes ou se relevant de sous leur drap à la morgue. Tout ça va mal finir. Mais est-ce la faute des zombies ? Ou simplement des humains et de leur manière de vivre ?
Après sa revisite du thème « vampires » avec son Only Lovers Left Alive (2013), Jim Jarmusch s’attaque ce coup-ci à celui des zombies. Mais point question ici de faire un film de zombies comme on en a déjà vu des centaines, il sera ici question d’hommage, de parodie, de clins d’œil, de cliché, le tout sur fond de critique sociale, de désespoir, et même de poésie. Je vais vous livrer ci-dessous mon analyse personnelle. Elle pourra peut-être paraitre tirée par les cheveux, et ce n’est peut-être pas celle voulue par le réalisateur, mais c’est malgré tout ainsi que j’ai ressenti le film.


Avec The Dead Don’t Die, on a l’impression que Jarmusch a voulu à la fois rendre hommage au cinéma de Georges Romero (au cinéma de genre de manière générale en fait), et à la fois se moquer de ce nouveau cinéma de zombies qui souvent essaie de rendre hommage au cinéma de Romero. Un des personnages a la même Pontiac Tempest que Barbara et son frère au début de Night of the Living Dead (1968) de Romero, et le réalisateur se fait bien insistant, allant même jusqu’à le citer dans un dialogue, afin de se moquer de ces références parfois un peu trop appuyées pour être honnêtes telles qu’on les voit aujourd’hui. Il répètera le procédé à une autre reprise pour Romero, mais également pour d’autres films (pas forcément de zombies). Les références sont d’ailleurs extrêmement nombreuses, souvent amenées volontairement avec des sabots (oui, il se moque beaucoup) comme lorsque qu’un personnage demande à Adam Driver, qui incarne Kylo Ren dans la nouvelle trilogie Star Wars, si le porte-clés accroché aux clés de sa voiture est bien le croiseur interstellaire de Star Wars. Des références très nombreuses, souvent volontairement grossières donc (du moins je l’espère, sinon ça changerait ma vision du film), passant par Lucas et Romero donc, mais aussi Hitchcock, Carpenter, Raimi, Tarantino, Kill Bill, à la culture geek, à la musique, à l’Amérique de Trump, et même à son propre cinéma (l’entrainement au sabre renvoyant par exemple à son Ghost Dog).


Jarmusch s’amuse à pousser la connerie et les clichés à l’extrême. On nous sort sans arrêt des explications à la con pour justifier une apocalypse zombie ? Il nous en met une encore plus improbable. Romero avait mélangé à ses zombies une critique sociale, reprise par la suite par d’autres réalisateurs avec plus ou moins de succès ? Jarmusch la pousse à son paroxysme. Les personnages sont souvent des clichés, ont des réactions à la con, et les zombies des habitudes bien ancrées ? Jarmusch en rigole ouvertement. Qu’ils soient sincères ou moqueurs, il y a des clins d’œil et des références absolument partout, aussi bien visuels que dans les dialogues.
Il en résulte, il est vrai, un film où absolument rien n’est logique, à la fois drôle, improbable, grinçant, gore, absurde, créatif, poétique et même écolo, qui va pour le coup enchainer des scènes souvent bien WTF. Les acteurs et les personnages qu’ils campent y sont pour beaucoup dans la réussite du film. La léthargie dont ils font tous preuve, en restant la plupart du temps complètement passifs face à ce qu’il se passe, préférant balancer des punchlines à la con plutôt que d’agir, donne lieu à quelques scènes pas piquées des vers. Les dialogues sont par ailleurs extrêmement bien écrits, souvent source de fous rires, eux aussi constamment toujours à la limite de l’absurde sans jamais réellement tomber dedans.
Le message du film semble malgré tout bien plus profond que tout ça. Un message assez désespéré sur l’état actuel du monde. Un état qui n’est pas perçu par une bonne majorité de gens qui se croient dans un monde parfait alors qu’ils sont bouffés lentement mais surement par le capitalisme sans même s’en rendre compte (la réplique de RZA et celle moult fois répétée par Adam Driver).


Sous ses airs de grosse bouffonnade, The Dead Don’t Die est une bobine assez complexe à appréhender à tel point que beaucoup le trouveront raté. Un film au final assez pessimiste duquel on ressort pourtant le sourire aux lèvres, et ça c’est plutôt fort.


Critique originale : ICI

cherycok
7
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le 21 mai 2019

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