Le père Max (Ryan Guzman) est prêt à tout pour être une star des réseaux sociaux. Il s'est construit une petite réputation grâce aux exorcismes qu'il pratique en direct sur les réseaux, mais peut-être aussi grâce à son physique avantageux, qu'il n'hésite pas à mettre en avant lorsqu'il s'agit de séduire les filles. Le marketing religieux qu'il a mis en place "avec l'autorisation du Vatican", comme le clame partout son site, marche bien, mais il voudrait récupérer toujours plus d'abonnés. Ce que tout le monde ignore, c'est qu'en réalité, le père Max n'est pas du tout un prêtre et que ses exorcismes sont des canulars joués par des acteurs. Ce que le père Max ignore, en revanche, c'est que le démon qu'il s'apprête à chasser ce soir en direct est, lui, un vrai démon. Et qu'il est bien là pour jouer... contrairement à Max et à son équipe.


La réaction naturelle de tout spectateur en voyant la bande-annonce de The Devil's Hour est bien évidemment de soupirer face à ce qui ressemble fort à un énième film d'exorcisme, grandiloquent et sans inventivité. Peut-être aussi, comme l'auteur de ces lignes, de se dire que le concept est un tout petit peu plus original que d'autres (même si ce n'est pas la première fois qu'on voit des arnaqueurs confrontés à du vrai surnaturel) et que le ton visiblement humoristique adopté par le film pourrait bien le sauver du désastre... Parfois, on fait bien d'écouter son intuition.
Bien sûr, le spectateur qui aura débranché son cerveau face au spectacle proposé et qui prendra donc tout au premier degré ne verra là qu'un film d'exorcisme braillard sans intérêt. Ce serait pourtant passer complètement à côté du véritable propos du film.


Indéniablement, The Devil's Hour est sauvé par le second degré (presque) omniprésent que Damien LeVeck essaye d'instiller partout dans son film, dès qu'il le peut, sans en faire trop non plus. Le ton grinçant de l'œuvre apparaît très vite, et ne la quittera plus, même s'il se fait de temps à autre plus discret. En effet, plus qu'un énième film d'épouvante sans originalité, The Devil's Hour est au film d'exorcisme ce que [REC] est au film de zombies ou encore Kingsman au film d'action et d'espionnage (et la comparaison avec ces deux films n'est pas innocente, tant il les rejoint dans leurs propos, et même un peu plus mais on n'en dira pas davantage pour ne rien déflorer). Il reprend tous les codes les plus traditionnels du genre dans lequel il se glisse pour les tordre dans tous les sens et en tirer quelque chose de résolument novateur.
De fait, The Devil's Hour révèle vite son originalité, en nous proposant une satire décapante des réseaux sociaux et de leurs utilisateurs décérébrés. On pourra trouver la critique en elle-même relativement convenue (ce n'est ni le premier film, ni le dernier, à dénoncer les réseaux sociaux), mais la mise en œuvre, elle, ne déçoit pas.


Damien LeVeck réussit ainsi à mener son double-discours à bien, jusque dans ses plus profonds retranchements, pour illustrer à fond le pouvoir dévastateur des réseaux sociaux. La mise en abyme du spectateur est parfaitement maîtrisée, notamment lorsqu'il opère le parallèle entre les spectateurs de l'émission de Max et nous, spectateurs d'un film d'horreur, pour dénoncer cette complaisance dans l'abject, et cette soif de sang qui nous anime. Spectateur du film comme spectateur des vidéos de Max, tous viennent voir du sang et des tripes. Et tous sont servis, mais pas tout-à-fait de la manière attendue...
La quête de popularité de Max l'enferme ainsi dans une spirale infernale, c'est le cas de le dire, puisque le démon mis en scène profite du direct de Max pour attendre un nombre de connexions maximales afin de l'humilier devant le plus grand nombre de personnes, et donner ainsi à la plus grande masse de voyeurs ce qu'elle désire :
- se rincer l'œil pour commencer, et la caméra, aux ordres du Mal, saura capter le spectacle sexy terriblement humiliant auquel le démon contraint le personnage principal au début de son émission...
- la transparence absolue, jusque (et surtout) dans les pires secrets de celui qui se donne en spectacle, chose que le démon force Max et ses amis à faire au travers de la confession publique de leurs pires fautes à laquelle il les soumet sous peine de mourir dans d'atroces souffrances.
- du sang, le sang des pécheurs pervers qui ne méritent plus que d'être jetés en pâture à des spectateurs déjà vacillants devant tant d'horreur, mais toujours fascinés par ce jusqu'au-boutisme terrifiant que leur écran leur retransmet fidèlement, allant même jusqu'à participer au spectacle démoniaque sans s'en rendre compte.
Et c'est ainsi que, par le biais des écrans et de la transmission en direct, les réseaux créent leurs propres monstres, qui ne sont plus devant la caméra, mais derrière les écrans...


Cette descente aux enfers est merveilleusement retranscrite par la caméra affûtée de Damien LeVeck, qui sait nous immiscer tour-à-tour dans la peau de ces pathétiques vantards virtuels que quelques secousses jettent à terre sous les yeux réjouis de leur public, mais aussi dans la peau de ce public de vautours, prêt à guetter chaque goutte de sang et chaque membre coupé que le scénariste voudra bien livrer à notre soif de sensationnalisme. A tel point que, lorsque le scénario prend le temps, dans un second degré discret mais toujours plus ravageur, de faire une pause dans l'horreur pour forcer les personnages à livrer des secrets intimes dignes d'un feuilleton de téléréalité TF1, les commentaires des spectateurs de l'émission de Max rejoignent ceux du spectateur du film : "Bon, on s'ennuie, là... A quand la prochaine mort ?"
Mais c'est qu'en réalité, le jeu de massacre auquel nous convie Damien LeVeck est bien plus subtil et partant, bien plus retors que ce pour quoi on s'embarquait à la base. Et si l'acte final du film, relativement inattendu, ne surprend peut-être pas exagérément (on ne le voit pas venir, mais quand il arrive, on se dit qu'il est somme toute très logique), il révèle pourtant que, fidèle au diction "In cauda venenum", le réalisateur était bien décidé à aller jusqu'au bout de son propos, le retranchant dans ses pires extrémités. A ce titre, le plan final et l'étonnante indulgence dont fait preuve in fine le scénario avec certains de ses personnages sont bien plus terrifiants que toute l'horreur surnaturelle que le film nous a donné à voir, car cette horreur, pour le coup, est bien humaine, terriblement humaine...


Ainsi, The Devil's Hour est bien plus qu'une petite série B d'exorcisme supplémentaire, il est un véritable pamphlet social, extrêmement réfléchi, qui file une métaphore judicieuse et bien pensée tout au long de son scénario machiavélique à souhait. Chaque péripétie, chaque retournement, revêt un sens bien particulier, complétant une dénonciation qui pourrait paraître très convenue, mais dont l'efficacité est bel et bien décapante.
Et si The Devil's Hour n'effraye pas plus que de raison, c'est parce que son horreur réside là où on ne l'attendait pas, dans un portrait glaçant d'une société qui est pourtant bien la nôtre. Un portrait qu'on connaît par cœur et qui nous effraye pourtant toujours plus, au gré des films qui dressent sous nos regards coupables cet implacable miroir...
Pourra-t-on se réveiller avant qu'il ne soit trop tard ? Mais IL EST déjà trop tard...

Tonto
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le 29 avr. 2021

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