Pour sa première réalisation, le dramaturge Florian Zeller adapte sa propre pièce Le Père, qui narre l'inexorable décrépitude d'un vieil homme assailli par la maladie d'Alzheimer. Zeller va pourtant au delà de la simple transposition et opte pour une mise en scène adoptant le point de vue d'Anthony. The Father est un huis-clos à double-titre puisqu'on passe les 95 minutes dans un appartement mais aussi dans la tête de son héros. À vrai dire, le foyer est l'allégorie d'un cerveau en train de se délabrer. La forme fusionne avec le fond : les plans fixes reflètent les images résiduelles qu'Anthony conserve, l'aménagement de son réduit varie de manière plus ou moins imperceptible, les repères affectifs ou temporels (la métaphore de la montre perdue) sont brouillés et la barrière entre souvenirs et inventions est poreuse.
Jusque dans son écriture, Zeller éparpille des bribes de dialogues déjà échangés pour rappeler la perturbation constante subit par le personnage principal. Le procédé fonctionne si bien que l'effet de stupéfaction se répercute sur les spectateurs. Les plus attentifs essaient forcément de remettre un semblant d'ordre dans le chaos mémoriel, mais la tâche s'apparente à reconstituer un puzzle en perpétuelle mutation. Ce qui ne veut pas dire qu'on ne pourra y trouver un sens mais la prudence est de mise. Au delà de ce dispositif imparable, le vrai effet spécial du film demeure son comédien principal, Anthony Hopkins. Fort d'une expérience qui ne souffre aucune comparaison, l'acteur octogénaire livre une partition de la dissonance phénoménale. Le moindre de ses mouvements, de ses expressions ou de ses changements de tons retranscrivent avec subtilité l'état d'Anthony. Je me demande malgré tout si la plus grosse surprise n'est pas à chercher du côté de l'incroyable Olivia Colman qui vous met le cœur au bord des yeux. Rufus Sewell, Imogen Poots et Olivia Williams complètent parfaitement le casting avec des prestations tour à tour solaire, frigorifique ou ambivalente.
Comme beaucoup de films à concepts, The Father se montre plus intéressant sur la manière de raconter que dans le propos en lui-même. Bien sûr que la finalité ne faisait aucun doute avant même que le long-métrage débute. Mais puisque la marche funeste était annoncée, n'y avait-il donc pas la possibilité d'opérer un virage imprévu afin d'emmener ses personnages vers autre chose (même temporairement) ? Cela aurait pu permettre de briser la routine sans renoncer à cette approche frontale de la maladie. Quelles auraient pu être les options, je ne saurais dire. Mais l'idée de souvenirs/cauchemars faisant intrusion dans l'esprit d'Anthony (comme dans le très inégal Capone) aurait pu être creusée d'avantage. Toutefois, le film de Zeller reste un geste fort, dans sa conceptualisation et son incarnation. Pas du tout le prototype de film à Oscars qui rassure et fait pleurer dans les chaumières. Ici, les émotions sont brutes et sincères. Elles font mal mais c'est aussi bien comme ça.

ConFuCkamuS
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le 31 mai 2021

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ConFuCkamuS

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