Yoshihiro Nakamura est particulièrement habile pour titrer ses films. Mystérieux, voir presque totalement abscons, The Foreign Duck, the Native Duck and God in a Coin Locker a de quoi émoustiller l’intérêt d’un spectateur qui s’intéresserait à son œuvre. Et si ce dernier a déjà été soufflé pour son talent à composer du feel good movie devant Fish Story —l’un des films japonais qui m’a le plus enthousiasmé ces dernières années— alors l’envie d’en découdre à nouveau se fait féroce.

Dès les premières minutes, la patte singulière de Nakamura prend sa pleine expression : des personnages d’un naturel saisissant, à l’écriture sans fausse note, envahissent l’écran et deviennent le point de départ très solide d’une intrigue qui se permet, avec aisance, de multiplier les angles d’attaque et les ruptures de ton. Rapidement la tendance se dessine, à savoir une histoire faussement compliquée dont il est impossible de démêler le vrai du faux tant que la main aux commandes n’a pas décidé de tout remettre dans le bon ordre. Une fable initiatique qui passe du rire aux larmes en un battement de cils, sans jamais verser dans un misérabilisme facile. C’est d’ailleurs ce qui se dégage de ce film et qui était déjà la marque de fabrique de Fish Story, cette facilité qu’a Nakamura à dépeindre ses semblables sans tomber dans la banale caricature. Alors qu’à leur première apparition à l’écran, ses personnages semblent très exagérés, ils font vite preuve d’une dimension plus complexe.

Cette sensibilité à jouer avec son époque et ses problématiques, qu’elles soient communes (le passage à l’âge adulte) ou plus ambitieuses (politiques même, quand il évoque les problèmes d’intégration des étrangers au Japon), ancre les films de Yoshihiro Nakamura dans une ambiance de conte de fée moderne, où la poudre magique aurait été remplacée par quelques miettes de pain appréciées avec gourmandise au petit déj’. Dans le cas présent, il signe une histoire, au prime abord, presque fantastique, qui se départit progressivement de son mystère pour faire état d’un drame touchant de simplicité, même s’il n’évite pas, à quelques occasions, certains choix narratifs un peu cavaliers —celui de la petite amie qui fait la grue, les bras écartés, devant une bagnole prête à bondir, étant le plus difficile à digérer— ainsi qu’un recours au flashback un peu didactique qui manque d’un soupçon d’idée.

Ces réserves mises à part, The Foreign Duck, the Native Duck and God in a Coin Locker est une jolie réussite. Et puis on y retrouve un autre trait caractéristique de Nakamura : une bande son entraînante y accompagne les tribulations des personnages. La voix de Bob Dylan, omniprésente, rappelle la forte sensibilité musicale d'un auteur qui joue ici avec un thème récurrent, dont les paroles font sens lors du final. Une conclusion sans esbroufe, nappée de poésie : Dieu est aveugle, les hommes peuvent enfin se laisser vivre.

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oso
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le 26 févr. 2015

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oso

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