Et soudain sa peau devint pâle et froide, quelque chose à l'intérieur fanait.




« Ne sois pas attiré par la terne lueur bleue de l’état humain. N’y trouve aucune joie. Elle est le chemin malheureux de tes inclinations latentes accumulées par ton orgueil qui vient à ta rencontre. Si tu t’y attaches, tu chuteras dans l’existence humaine où tu es assuré de souffrir la naissance, la vieillesse, la maladie et la mort, sans espoir de t’en libérer. Ne tourne pas ton regard vers cet obstacle à ta libération. A cette occasion, abandonne ton orgueil et tes inclinations attentes. Ne t’accroche pas, ne t’attache pas à cette lueur. Sois rempli d’aspiration envers l’éclatante lumière jaune claire et lumineuse, en te concentrant sur Baghavan Ratnasambhava, prononce la prière.



(…)



Ayant terminé cette prière avec une parfaite dévotion, tu es dissout en lumières d’arcs-en-ciel du coeur de Baghavan et de sa parèdre. Et dans le royaume céleste du sud, tu atteindras l’état de Boudha en le corps de jouissance. Ainsi amené à la vue pénétrante, tu seras sans doute libéré. »



Le Bardo-Thödol



L'extrait ci-dessus est un guide, une leçon pour quitter l'état intermédiaire qui suit la mort. Le Bardo Thödol est un ouvrage tibétain décrivant les différents états qui suivent après la mort jusqu'à la libération totale de notre âme. Très rapidement, après l'instant de notre dernier souffle, nous sommes plongés dans l'obscurité. Les derniers fragments qui nous rattachent à la vie nous font mal. Perdu dans les ténèbres, il nous faut reconnaître la lumière, la saisir et la suivre. Car la lumière est la seule solution pour perdre cette envie de saisir la vie antérieure. Lorsque l'on reconnaît la lumière, on est aspiré dans le gouffre, notre légèreté s'affirme et nous pouvons enfin être libéré du poids de l'existence. Tout comme Tom, interprété par Hugh Jackman, nous souffrons des aléas de la vie et souhaitons sortir de la boucle infernale des souffrances qui nous détruisent. Tom est hanté par la vie qu'il perd peu à peu, la mort de sa compagne est difficile à accepter tout comme la fin d'un cycle de vie qui s'arrête est profondément violent pour quiconque en ayant fait l'expérience. Seule la lumière jeune orangée de la nébuleuse lui permet de s'évader de la prison des douleurs. Son attachement envers sa femme restera à jamais gravé dans sa peau, mais la douleur de l'aiguille qui perçait son épiderme pour dessiner ses tatouages sera de moins en moins forte.


Si la mort est une maladie, alors le deuil en est son remède. Le film d'Aranofsky nous fait interagir avec la difficulté de laisser partir une personne, de la perdre de l'autre côté du miroir. Aux travers les écrits de sa compagne, on réalise que la mort est avant tout le disparition d'un mouvement, d'une pensée et d'une voix. Le corps s'arrête, les écrits restent, mais la parole du défunt semble déjà très lointaine tant la fontaine du souvenir est abstraite. La voix s'en va, le corps reste scellé. Que nous reste-il à faire ?


Le film essaye, tout comme le Bardo Thödol, de trouver un échappatoire, un remède contre la mort. Il essaye de nous guider, nous tenir par la main pour emprunter un chemin moins douloureux face à une épreuve telle que la perte d'un proche. C'est avec l'introspection, la méditation et l'imagination que tout peut se faire. Aux travers trois time-lines différentes, une première qui semble encrée au dans un réalité concrète, qui permet de revivre les moments comme de véritables souvenirs, une seconde qui prend la tournure d'une fable historique et enfin la dernière qui nous plonge dans la bulle méditative où plus rien ne peut nous affaiblir, nous vivons la vie de Tom comme un assemblage discontinu, un flux d'existence où tout est connecté. Si le film est souvent critiqué pour la simplicité de son histoire, c'est bien pour véritablement nous faire prendre conscience de la perte, nous focaliser sur ça. Complexifier d'avantage l'histoire et les péripéties aurait été un tour malhonnête, une tentative de tronquer la perte pour la séduction du spectateur. Il n'est pas nécéssaire que le spectateur soit surpris, qu'il soit emballé par des retournements inattendus, là n'est pas l'intérêt du long-métrage. Il était important de focaliser notre intention sur ces images, rendre plus compliquer l'intrigue aurait rendu plus absurde la volonté de vide qu'essaye d'atteindre Tom en méditant. Aussi, le choix d'avoir adopter une intrigue simple et focalisée sur le chagrin nous permet de presque faire abstraction des trois histoires pour qu'elles puissent finalement fusionner ensemble en une existence partagée à différents niveaux de l'espace spatio-temporel. Les personnages deviennent alors de véritables symboles vivants créés à partir du film. La où un personnage meurt, c'est une image qui s'anime c'est un symbole qui touche profondément le spectateur.



« Van Gogh pensait qu'il faut savoir déduire le mythe des choses les plus terre-à-terre de la vie. En quoi je pense, moi, qu'il avait foutrement raison. »



Van Gogh le suicidé de la société – Antonin Artaud




Les corps en putréfaction seront de l'engrais pour l'arbre plein de vie.



La vie comme la connaissance est radicale. Tom incarne cet arbre de connaissance, il essaye de dépasser la force de la vie, en vain. Accepter la mort, c'est accepter la vie. Là où le film décuple sa puissance, c'est par cette absence de rancœurs lorsque Tom trouve un remède contre la maladie de sa femme. The Fountain arrive à outrepasser la fin violente pour préférer la douce transcendance. La connaissance de Tom arrive à surpasser les peines et s'affirme comme un moteur autonome. Il n'est pas question de créer une fin qui déclencherait des ardeurs chez le spectateur du au retard de la découverte scientifique. Il n'est pas question non plus de créer une frustration. Il est d'avantage question de douceur et de paix.


Si Tom quitte sa femme, c'est sans regret, avec la sensation d'avoir accompli sa quête personnelle et professionnelle. La peau de sa femme devient l'écorce d'un arbre et sa chair chaude devint la sève qui purifie.


L'imagerie numérique et la lumière artificielle du film décuplent les sensations. Le réalisateur affirme sa force en niant l'authenticité. Sa force est ailleurs. Elle est au plus profond de sa vraisemblance. Si le jaune dominant envahit toutes les images du film, c'est la sensation de chaleur qui ne fait que nous posséder, laissant peut de place au bleu terne qu'englobe les épreuves. Ce sont des jeux sur les ombres qui viennent ressortir des visages d'or, ce sont des bulles dans l'espace infini qui nous entoure et nous protège du froid noir.


Dire que le film puise dans les textes bouddhistes et hébraïques est indéniable, mais sa puissance n'est pas là. Elle est dans l'affranchissement des symboles purs par le film. L'arbre de la connaissance faisant écho à la Genèse arrive à développer sa propre identité au sein du film. Il n'est pas seulement là pour faire une vague référence à la bible. De même que le stade d'éveil de Tom devient indépendant en se définissant auprès de la lumière jaune de la nébuleuse. Darren Aranofsky souhaite faire prendre conscience de ces images, il n'est pas là pour juste les montrer.


On est alors confronté à l'impalpable, on nous offre le choix de nous aussi nous évader. On se rend compte qu'il alors plus difficile de pleurer que d'être envahi par la haine.

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le 25 août 2016

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