Nervosité, fioritures et cabotinages… Mais c’est aussi ça tout le charme de Guy Ritchie.

Plein de fois je me suis posé cette question.
Mais au fond que trouve-t-on à Guy Ritchie ?
Quiconque est passé par un de ses derniers films – qu’il s’agisse de « Code UNCLE », du « Roi Arthur » ou d’« Aladdin » – s’est forcément posé la question lui aussi.


Beaucoup de densité et d’agitation souvent pour pas grand-chose. Montage à la machette. Irrévérence gratuite et souvent stérile… Il ressort du style de Guy Ritchie quelque-chose d’au fond assez superficiel, comme une sorte de formalisme de la posture et du cache-misère.
D’ailleurs, me concernant, je me rends compte qu’à part « Snatch » qui fut le premier film que j’ai vu de lui, je reproche souvent à cet auteur de refaire tout le temps la même chose avec la même impression de vacuité en bout de chaîne…
Et d’une certaine manière, ces reproches, je pourrais très bien les adresser également à ce « The Gentlemen » tant il reprend tout ce canevas propre à Ritchie.
Et pourtant, ce coup-ci, je me suis régalé.
Alors que s’est-il passé ?


Premier constat : Ritchie ça a beau être de l’esbroufe, ça reste quand-même une vraie maitrise de l’art oratoire cinématographique.
La seule scène d’introduction en est juste un exemple sidérant.
Qu’on aime ou qu’on n’aime pas, on est quand-même obligé de constater qu’il y a là-dedans un véritable savoir-faire – une maitrise du geste – qui se joue dans les moindres détails.
Talent de l’écriture d’abord avec ces quelques lignes sobres et efficaces qui posent tout de suite le propos du film. Puis cette transition où la narration extradiégétique devient soudainement intradiégétique entre deux gorgées de bière. Et puis à peine McConaughey conclut-il son speech qui le pose comme le king de la partie que – bim ! – rupture. Mélange des fluides brutal. Générique dans la foulée. Impeccable.
Franchement, ça coulisse tout seul.
Cette introduction je l’ai trouvée d’une très belle efficacité.
Et d’ailleurs, cette seule introduction là donne déjà beaucoup d’indications sur ce qui va faire la force de ce « The Gentlemen » : la discipline.


Parce qu’au-delà de cette discipline là, « The Gentlemen » reste du pur Guy Ritchie comme on le connait si bien.
Ce goût pour l’agitation, pour ces narrations hachées qui compliquent parfois inutilement l’affaire, pour les inserts à tout va, pour ces acteurs qui cabotinent et flirtent parfois avec l’outrance ou la caricature, tout ça on l’a dans ce « The Gentlemen ».
Et pourtant ça passe parce qu’ici, au milieu de toutes ces fioritures, on ressent quand-même davantage l’envie d’imposer une structure à la fois en termes de récit et en termes de rythmique. Ainsi se retrouve-t-on dans ce film avec de vraies ruptures, aussi bien dans le ton que dans le tempo, ce qui permet d’isoler des scènes fortes, des enjeux, mais aussi des tournants au fort potentiel dramaturgique.


Et franchement ça fait du bien parce que c’est l’occasion de mieux voir les cordes que Guy Ritchie a à son arc.
Notamment moi j’ai été assez subjugué par son art de la narration. L’air de rien son récit est assez complexe et assez riche mais, à part peut-être en son début, il reste toujours limpide et accessible. Une vraie force.
Et c’est d’autant plus agréable que tout cela est mis au service d’une intrigue au fond très « ritchienne » : désinvolte, joueuse et parfois même outrancière.


Car oui, Guy Ritchie reste dans ce film un indécrottable fripon.
Il aime malmener ses acteurs, les poussant souvent à flirter avec la limite de la caricature. (Hugh Grant est à ce jeu le plus habile des équilibristes. Bravo !), de même qu’il ne peut s’empêcher de rappeler régulièrement le caractère artificiel de son récit en jouant à plusieurs reprises avec les codes ou bien tout simplement en parlant littéralement de convention de cinéma à l’intérieur même de son histoire.
Certains reprocheront dans ces mimiques une manière peu habile de se dédouaner et de ne pas assumer son manque de subtilité (et peut-être auraient-ils raison), mais on peut aussi y voir là les traits d’un cinéma qui n’entend pas se prendre au sérieux et qui aspire en permanence à tenir en équilibre sur le fil de la farce noire.


Alors après c’est vrai, parfois Ritchie va peut-être trop loin et ne tient plus vraiment droit sur son fil…


(Moi par exemple, j’ai décroché sur le trip d’Eddie Marsan qui se fait piéger avec une truie. C’est trop gros. Trop grossier. Gratuit et pas utile. )


…mais l’un dans l’autre la sagesse du réalisateur désormais quinquagénaire l’emporte sur le tout, notamment grâce à une écriture ciselée qui sait retomber sur ses pattes à la toute fin, rappelant et justifiant toute la démonstration.


Du coup, l’air de rien, ce « The Gentlemen » parvient à m’apporter une réponse évidente à ma question du tout début : mais au fond, que trouve-t-on à ce Guy Ritchie ?
Eh bien justement, je pense qu’on y trouve ce petit plaisir à voir un sale gosse nous montrer qu’il pourrait faire un film léché et bien propre sur lui, mais qui nous envoie chier malgré tout en nous rappelant qu’au fond c’est tellement plus amusant de tout prendre avec dérision.
Ça donne un côté absurde et dénué de sens aux choses de la vie, sans pour autant rompre avec cette envie brute et primale de vivre malgré tout.
En d’autres mots, ça donne à Guy Ritchie un petit côté punk.
Certes un punk qui a un peu vieilli et qui s’est assagi. Mais un punk malgré tout.
Et certes, les punks, ça peut agacer, mais au fond, c’est aussi ça le charme de Guy Ritchie…

lhomme-grenouille
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le 6 févr. 2020

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