Aussi gourmand que les pâtisseries de Mendl's

Ah, Wes Anderson, un plaisir entamé cette année, délectable, léger, savoureux. The Grand Budapest Hotel ne déroge pas à la règle : univers enfantin, coloré, grandiloquent, personnages hauts en couleurs, histoire extravagante. Toujours aussi génial.


Wes Anderson s'entoure d'abord d'un casting formidable. Ralph Fiennes est remarquable dans son rôle de concierge d'un prestigieux hôtel d'une petite république du centre de l'Europe dans les années 30. A ses côtés, le jeune Tony Revolori, le nouveau groom qu'il va prendre sous son aile. Plus tard, ce même groom sera devenu le propriétaire de l'hôtel, en décrépitude, un homme solitaire et vieillissant incarné cette fois-ci par F. Murray Abraham (que j'idole - son rôle m'a fait tellement penser à celui de Salieri dans Amadeus), et qui va alors raconter son histoire à un écrivain, client habituel de l'hôtel, en 1968, incarné par Jude Law. Un tel casting justifierait déjà de se précipiter voir le film mais ce n'est pas tout. On retrouve également Edward Norton, collaborateur récurrent de Wes Anderson, Jeff Goldblum, Harvey Keitel, Léa Seydoux, Mathieu Almaric, Jason Schwartzman, Bill Murray, Owen Wilson, Adrian Brody, Willem Dafoe... Je continue ?


L'histoire est habilement menée au travers de trois narrations enchâssées l'une dans l'autre. D'abord, on voit une jeune femme se prosterner devant la statue d'un écrivain qu'elle semble adorer puisqu'elle a avec elle son ouvrage, The Grand Budapest Hotel. On devine que cela se passe à notre époque. Ensuite, nous voyons ce même écrivain dans les années 80, discourir sur son inspiration et qui prends l'exemple d'une expérience qu'il a vécu dans sa jeunesse, dans les années 60, dans ce fameux Grand Budapest Hotel. Dans cet hôtel, quasi désert, il est intrigué par un personnage âgé, qui n'est nulle autre que le propriétaire de l'hôtel. Celui-ci, alors, l'invite à dîner et lui raconte son histoire, histoire qui deviendra alors l'objet du livre que l'écrivain publiera des années plus tard. Son histoire c'est celle de M.Gustave, le concierge du palace, qui est devenu son mentor et ami, alors qu'il n'était qu'un simple groom. On suit alors les péripéties des deux personnages, dans une période trouble de ce pays fictif, confronté à des invasions militaires, dans un univers chamarré, faits de courses poursuites et d'histoires d'héritage. Complexe en apparence, l'intrigue est en réalité très fluide, lêchée et légère. Il se passe beaucoup de choses, le rythme est soutenu mais on ne se perd jamais. Les personnages sont attachants. M. Gustav est haut en couleur : il aime les vieilles femmes, riches clientes de l'hôtel, le bon vin, les pâtisseries de Mendel, sorte de Ladurée de la région, méticuleux, organisé, passionné de poésie romantique mais n'hésite pas à recourir à la vulgarité, qui vient trancher avec son apparence parfaite.


Le style graphique est utilisé dès le début du film avec une sorte de maquette de l'hôtel et des personnages miniatures. Certains décors sont extravagants et irréalistes. Les traits sont grossis, comme dans un rêve d'enfant. L'enfance avec Wes Anderson n'est jamais loin. Les couleurs sont également très justement utilisées : le jaune, le rouge, le rose, comme autant d'ambiances et d'atmosphères. Pour autant, le gris, le noir sont également très présents et donnent également au film une coloration plus sombre et funeste. La mort, la guerre sont omniprésentes, jamais vraiment loin. La vieillesse est également mise en avant : vieillesse du propriétaire de l'hôtel, vieillesse de l'écrivain racontant cette histoire et un certain nombre de personnages s'évaporent, s'évanouissent, meurent. La nostalgie imprègne l'ensemble, symbole d'un âge d'or aujourd'hui révolu. Puis il y a cette ambiance slave, la neige, les villes du centre de l'Europe et les grandes étendues montagneuses, la musique également signée Alexandre Desplat, ce qui permet à Wes Anderson de distiller une ambiance proche de celle d'un Stephan Zweig, légèrement absurde et toute slave, dont il revendique par ailleurs la parenté. L'utilisation de différents formats et cadrages selon les époques marque aussi l'aspect "hommage" que le film fait à des genres cinématographiques passés.


Malgré tout, le film est drôle, touchant, jamais vraiment sérieux, délicieusement décalé. C'est un portrait détourné d'une époque trouble et complexe. Il touche finalement du doigt l'essence même de l'existence, la soif d'aventure, le fantasme et les rêves, les quêtes du possible et du bonheur, sans cesse contrariées. On rit, on frisonne, on voyage. The Grand Budapest Hotel c'est tout ça à la fois, le genre de film initiatique, atemporel et délicieux. C'est une vraie gourmandise, colorée et nuancée, douce et amère. On en reprendrait sans fin (faim).

Créée

le 22 mai 2015

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Tom_Ab

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