Dans la république imaginaire de Zubrowka, quelque part en Europe centrale, se trouve le Grand Budapest Hôtel, prestigieux établissement de montagne avec station thermale et immense salle à manger. Les premiers plans nous plongent immédiatement dans une esthétique kitsch de carte postale rétro, avec ses paysages alpins qu’on croirait sortis d’une boule à neige et ses charmantes maquettes de funiculaires et de téléphériques. Un extérieur de carton-pâte, un intérieur digne de la grande époque des bals austro-hongrois, et une galerie de personnages qui va clairement chercher son inspiration – dans les attitudes, les intrigues et les mouvements – du côté de la bande dessinée.

Plusieurs récits sont enchâssés les uns dans les autres, à la manière des romans picaresques de jadis. C’est l’histoire d’une jeune fille qui se plonge dans un livre de son père, lequel, écrivain vieillissant et parfois victime de la « fièvre du scribe », nous raconte qu’il a fréquenté autrefois le fameux hôtel, dans lequel il a rencontré le directeur, Zéro Moustafa, qui lui a à son tour raconté au cours d’un repas ses débuts comme lobby boy au service de son prédécesseur, vrai héros du film, M. Gustave, dans les années de l’entre-deux guerres. Pour faire bref – car l’action, tout comme les dialogues, sont extrêmement rapides et tout s’enchaîne prestement – M. Gustave, dandy fantasque et bavard dont les goûts se portent sur les vieilles dames richissimes, se voit accusé du meurtre de Mme D., une de ses conquêtes, alors que cette dernière lui a légué un tableau précieux. Emprisonné puis poursuivi par le fils de Mme D et son tueur à gages, il tente de s’en sortir avec l’aide de son jeune groom et de la fiancée de ce dernier, la pâtissière Agatha, qui mourra par la suite de la « grippe prussienne », métaphore pudique pour évoquer son assassinat par les nazis (eux aussi bardés de symboles n’ayant rien d’historiques et venant d’un pays aussi imaginaire que la petite république de nos héros). Le tout, nous précise Wes Anderson dans le générique de fin, est inspiré, non pas tant pour l’intrigue que pour l’atmosphère générale, de plusieurs romans de Stefan Zweig. A chaque changement d’époque, l’image s’adapte habilement, du type de couleurs jusqu’au format de l’écran.

Si le casting est généreux et que le jeu de certains acteurs est particulièrement mis en valeur, c’est pourtant le décor qui retient le plus l’attention dans ce film. Mêlant éléments physiques grandeur nature, maquettes et images de synthèse, le cinéaste nous en met plein la vue, avec ses tons vifs, ses symétries parfaites et ses enfilades de couloirs somptueux. Recourant parfois à des plans-séquences très larges (c’est là où on devine la patte du numérique), il nous fait entrer, sans interruption de l’image, d’une pièce à l’autre, donnant au spectateur l’envie de se repasser ces scènes au ralenti pour ne pas manquer tous ces détails que la caméra ne fait que balayer du regard dans des mouvements rapides et éblouissants. Deux scènes se déroulant à l’extérieur de l’hôtel resteront dans les souvenirs du spectateur : celle de M. Gustave et de ses compagnons de cellule s’évadant du bagne, improbable prouesse que même les frères Dalton n’auraient pas osé tenter et qui n’est pas sans faire penser à "O’Brother" des frères Cohen, et celle où, poursuivant un tueur, M. Gustave et le jeune Zéro embarquent sur un traineau, donnant lieu à une scène de sport d’hiver qui rappelle à la fois un jeu vidéo et la scène finale du "Bal des Vampires" de Polanski. Un film aux couleurs de pâtisserie (et d’uniformes noirs) qui assume pleinement son goût pour le spectacle.
David_L_Epée
5
Écrit par

Créée

le 17 mai 2014

Critique lue 418 fois

1 j'aime

David_L_Epée

Écrit par

Critique lue 418 fois

1

D'autres avis sur The Grand Budapest Hotel

The Grand Budapest Hotel
Sergent_Pepper
8

Le double fond de l’air est frais.

Lorsque Wes Anderson s’est essayé il y a quelques années à l’animation, cela semblait tout à fait légitime : avec un tel sens pictural, de la couleur et du réaménagement du réel, il ne pouvait que...

le 27 févr. 2014

230 j'aime

23

The Grand Budapest Hotel
Veather
9

Read My Mind #2 : The Grand Budapest Hotel

Ami lecteur, amie lectrice, bienvenue dans ce deuxième épisode de RMM (ouais, t'as vu, je le mets en initiales, comme si c'était évident, comme si c'était culte, alors qu'en vrai... Tout le monde...

le 8 sept. 2014

174 j'aime

51

The Grand Budapest Hotel
guyness
9

Anderson hotel

Comme tout réalisateur remarqué, Wes Anderson compte quatre catégories de spectateurs: les adorateurs transis, les ennemis irréductibles, les sympathisants bienveillants et, beaucoup plus nombreux,...

le 28 févr. 2014

157 j'aime

68

Du même critique

La Chambre interdite
David_L_Epée
9

Du film rêvé au rêve filmé

Dans un récent ouvrage (Les théories du cinéma depuis 1945, Armand Colin, 2015), Francesco Casetti expliquait qu’un film, en soi, était une création très proche d’un rêve : même caractère visuel,...

le 20 oct. 2015

32 j'aime

Les Filles au Moyen Âge
David_L_Epée
8

Au temps des saintes, des princesses et des sorcières

Le deuxième long métrage d’Hubert Viel apparaît à la croisée de tant de chemins différents qu’il en devient tout bonnement inclassable. Et pourtant, la richesse et l’éclectisme des influences...

le 6 janv. 2016

20 j'aime

1

I Am Not a Witch
David_L_Epée
6

La petite sorcière embobinée

Il est difficile pour un Occidental de réaliser un film critique sur les structures traditionnelles des sociétés africaines sans qu’on le soupçonne aussitôt de velléités néocolonialistes. Aussi, la...

le 24 août 2017

14 j'aime