The Grand Budapest Hotel : une invention de chaque instant

The Grand Budapest Hotel est une invention de chaque instant, de chaque scène, de chaque plan. Wes Anderson, une fois de plus, fait preuve d’une incroyable maîtrise technique tout en développant un scénario burlesque, poétique et entraînant.

Le film débute par un multiple retour dans le temps: en 1985, un auteur de roman (Tom Wilkinson), parle de sa rencontre, en 1968 avec Zero Mustafa, qui lui raconte à son tour son histoire, qui commence en 1932. Comme si l’on dévalait un toboggan temporel, nous nous retrouvons dans un hôtel luxueux, The Grand Budapest Hotel. De réputation internationale, l’hôtel est régi par un concierge, M. Gustave H. (Ralph Fiennes), personnage méticuleux, rigoureux, poétique et très porté par le sexe avec de vieilles dames blondes. Dès lors, nous vivons dans l’hôtel et suivons les tribulations inattendues et haletantes de M. Gustave et de son jeune lobby-boy Zero Tony Revolori), qui se retrouvent impliqués dans un vol de tableau, une évasion ou encore une course poursuite dans la neige absolument hilarante.

Le rythme est l’élément essentiel du film de Wes Anderson. La musique d’Alexandre Desplat, principalement composée de batterie sur laquelle on joue avec des ballais (cela donne donc un son de frottement au tempo élevé), est omniprésente. Elle s’accorde parfaitement avec le rythme de l’image et accompagne les personnages jusque dans leur montée des escaliers de l’hôtel. Les portes s’ouvrent et se ferment frénétiquement, les protagonistes changent beaucoup de lieux. Ces portes, comme les différents mouvements de caméra, permettent au réalisateur de faire entrer ou sortir un personnage dans le cadre, de manière plus ou moins impromptue. Les allers et venues des personnages, la violence de l’ouverture ou de la fermeture des portes rappellent le burlesque des films muets, la fantaisie des gags des Marx Brothers ou encore l’absurde pratiqué par les Monty Python. Le film est truffé de scènes montées en léger accéléré, provoquant ainsi un comique visuel qu’on trouvait au temps du cinéma muet mais qui est peu utilisé dans le cinéma moderne. Loin de tomber dans l’imitation du film muet, Wes Anderson est en perpétuelle recherche, combine les techniques, au fil de plans toujours composés avec intelligence et esthétisme. Les zooms, les panoramiques et autres travellings donnent un rythme effréné à cette histoire qui file comme un TGV. Pas une minute de répit, on ne s’ennuie jamais, et même si l’on est profane, on ne peut qu’apprécier la virtuosité du réalisateur, sa gestion des espaces et du tempo qui insuffle un humour et une poésie constants. On retrouve ainsi la fantaisie déjà présente dans Moonrise Kingdom ou La Vie Aquatique. Les décors, pour les vues extérieurs, sont souvent fabriqués en papier mâché. Après Fantastique Maître Renard, Wes Anderson redit son amour de la maquette et de l’animation artisanale, en intégrant des plans de funiculaires miniatures qui gravissent des montagnes en carton, comme un gamin qui joue avec ses constructions.

The Grand Budapest rappelle d’ailleurs les histoires que peuvent inventer les enfants lorsqu’ils jouent : souvent dans l’improvisation, les enfants imaginent des scénarios parfois improbables, farfelus et déroutants. On sait rarement ce que l’histoire réserve, comment elle va se finir. C’est pareil pour nous, spectateurs, lorsqu’on voit le film. On ne sait pas où on va, mais on peut suivre Wes Anderson jusque sur la Lune, tant sa créativité détone dans le monde du cinéma, et tant il touche à tout : photographie, cinéma, peinture, sculpture, ses influences sont très éclectiques, et on en raffole !

Le film est découpé en cinq chapitres, au cours desquels des acteurs de renoms viennent jouer quelques scènes, comme autant de sparing partner de luxe pour Ralph Fiennes. Chacun, de Willem Dafoe à Edward Norton, en passant par Harvey Keitel, Matthieu Amalric ou encore Bill Murray (habitué des films d’Anderson) est parfaitement décalé, drôle et dans la démesure. Wes Anderson tourne en dérision certains clichés attachés aux acteurs (Willem Defoe en méchant, Harvey Keitel en bad boy, Matthieu Amalric en serveur français) et les détourne. Les acteurs se donnent à fond, n’ont peur de rien, et on sent bien qu’ils se sont amusés. Ralph Fiennes trouve en M. Gustave le rôle le plus intéressant de sa carrière. Il fait preuve d’une extrême finesse de jeu et d’un grand talent pour la comédie, qu’on ne lui avait probablement jamais vu. Il mène tout le film, sautille, est aussi touchant qu’il est drôle. Bref, on prend un très grand plaisir à le voir à ce niveau d’interprétation et de comédie.

The Grand Budapest Hotel, c’est un mélange de Tex Avery, de La Grande Illusion, des Jeux Olympiques d’hiver et de la série Palace. Cela donne donc un cocktail absolument original, explosif et réjouissant. Nous avions eu Django Enchained et La Vénus à la fourrure en 2013, voilà The Grand Budapest Hotel pour 2014 ! A voir de toute urgence !
cinephilanonym
10
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le 27 sept. 2014

Critique lue 237 fois

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