Un concept a-t-il valeur de pitch ? Pour ce premier film danois, tout porte à le croire : soit un huis clos rivé à un opérateur de Police Secours, pour 85 minutes sous haute tension lorsqu’il se retrouve à devoir gérer à distance une affaire de meurtre et kidnapping.


The Guilty est un film dénué de contre-champ, et qui joue dans son écriture de ce même handicap. L’opérateur en question est lui-même, sous le coup d’une mesure conservatoire, retiré du terrain et bouillonne derrière son casque, frustré de cette sanction qui exacerbe son impuissance et sa passivité forcée. Cet ajout d’une intrigue secondaire, distillée avec parcimonie (que se passera-t-il le lendemain ? Pourquoi cette larme ? cet appel d’une journaliste ?) entre en miroir avec la posture du spectateur, à la fois frustré et excité par la situation.


Le concept, déjà exploité récemment dans Locke, à savoir de ne garder qu’un personnage au téléphone, trouve donc ici une dimension autrement plus dramaturgique. Ici, les interlocuteurs agissent, et le protagoniste peut infléchir ou détourner leur course, par les instructions qu’il donne ou les informations qu’il va réunir.


Tout l’art du film consistera donc à donner chair au hors champ : par un travail très fin sur le son, évidemment, qui restitue des ambiances (l’entrée par effraction dans un appartement, le balai des essuie-glaces qui rythme une cavale angoissante, le son sourd d’un habitacle ou d’une brique) et dilate le temps d’attention du spectateur. De ce fait, les prises de vues accusent le coup des risques de la monotonie : la caméra tourne autour de l’opérateur, qui enlève son casque à la fin de chaque appel, geste un peu théâtral et peu crédible censé mouvementer le cadre imposé. Petites maladresses compensées par les jeux d’écriture autrement plus intéressants sur la variation des points de vue, une même situation (dans la camionnette, dans la maison) étant décrite ou verbalisée par des interlocuteurs différents.


Le film aurait pu se contenter d’une enquête à distance : mais la caractérisation du personnage permet d’épicer sa gestion de l’affaire : plus il se prend à vouloir intervenir, c’est-à-dire interagir avec l’extérieur, plus il s’isole à l’intérieur, changeant de salle et tirant les stores pour s’enfermer dans une bulle qui va le conduire à ses propres dérives. D’un habitacle à l’autre, la cavale déraisonnable devient double et double donc la course poursuite d’une réflexion intéressante sur les excès du justicier solitaire. Le twist, certes un peu grossier sur certains points de l’écriture, permet ainsi une versatilité des rôles assez réjouissante et une relance du récit qui fait du sauveur un responsable devant faire face à ses initiatives hasardeuses.


Un concept peut avoir valeur de pitch : mais dans The Guilty, il a l’intelligence d’être un point de départ soutenu par une écriture malicieuse qui sait sublimer sa singularité et faire du manque une valeur ajoutée.

Sergent_Pepper
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le 11 déc. 2018

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Sergent_Pepper

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