En 1997, la chaîne Arte demandait à plusieurs cinéastes d'imaginer le passage à l'an 2000. Parmi eux, il y avait le Brésilien Walter Salles et le Malien Abderrahmane Sissako. En sortiront une dizaine de moyens métrages d'une heure.
Tsai Ming-liang sortira quelques temps plus tard une version "longue" de son film, et ce sera The Hole ("longue" : tout est relatif, le film faisait une heure et demi).
Nous sommes 7 jours avant l'an 2000. Il pleut sans cesse et l'eau est empoisonnée par un virus inconnu. Des quartiers entiers (de quelle ville ? Taipei ? Peut-être, mais rien ne l'affirme vraiment) sont en quarantaine et les autorités incitent les habitants à partir se réfugier ailleurs. Mais certains résistent et restent chez eux.
Les deux personnages de ce film sont parmi ces rebelles. Ils restent dans des immeubles presque vides et que l'eau omniprésente semble ronger petit à petit, s'infiltrant partout. Ils tentent de mener une vie normale, ordinaire, comme si de rien n'était. Ainsi, l'homme va ouvrir sa petite épicerie. Mais aucun client ne passe dans son sous-terrain reculé. Alors, ses horaires achevés, il rentre s'enfermer chez lui. Personne dans les rues. Personne dans l'immeuble. Glauque, l'ambiance !
Sauf qu'un trou se forme dans son plancher. Un trou qui va établir un contact avec la voisine du dessous.

Raconté comme cela, le film ne paraît pas forcément très attirant. Deux personnages perclus de solitude dans un décor triste et gris. Et pourtant, avec une grande intelligence et un art consommé du contrepied, Tsai Ming-liang démonte cet univers dépressif : à intervalle régulier, il insère des chansons qui créent autant de contrastes. Des passages chantés qui donnent des scènes joyeuses, colorées, gentiment kitsches, parfois même sensuelles.
Le rythme est maîtrisé : lent sans jamais être ennuyeux. The Hole est essentiellement un film contemplatif, aux plans longs, avec très peu de dialogues. Normal : quand les personnages sont solitaires, avec qui pourraient-ils dialoguer ? Malgré cette lenteur, le film est passionnant car inattendu et esthétiquement très réussi. Il y a un grand travail sur le cadrage, les décors, la lumière, les sons même.
Le cinéaste se permet même d'instaurer une subtile réflexion sur la vie en société : peut-on vraiment dépasser notre peur de l'autre pour oser l'aborder ? Ou est-on condamnés à vivre seuls, enfermés sur nous-mêmes de milieu de toute l'humanité ? Une humanité constituée de solitudes juxtaposées... Par ce thème, on voit comment le cinéaste taïwanais se rapproche de Wong Kar-waï, par exemple (mais avec une réalisation très différente).

Il y aurait aussi beaucoup à dire sur cette pluie, qui s’infiltre partout. Rien ne lui échappe. Elle symbolise à merveille cette contagion, ce virus qui s'infiltre progressivement dans le moindre recoin, transformant les hommes en insectes.
Beaucoup à dire aussi sur ce final tout simplement SU-BLI-ME !!!
Un film simple mais très réussi, avec quelques passages poétiques et inattendus.
SanFelice
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le 4 avr. 2013

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SanFelice

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