C’est difficile de partager. Nous n’avons pas les mêmes goûts, les mêmes envies, les mêmes intérêts. On peut dire beaucoup de bien d’un livre, si votre ami n’aime pas lire, votre enthousiasme, il s’en fout un peu. Généralement on partage sur la base d’un intérêt commun, on ne veut plus voir tel film car quelqu’un nous en a dit du mal, on veut en voir un autre qu’on ne connaissait pas parce qu’une opinion relève un point qui nous rejoint. Ou on parle dans le vide, seul avec ses goûts. Au fond, c’est souvent moins l’oeuvre qui importe, que ce qu’on a à dire sur elle, si on a quelque chose à en dire, évidemment. J’espère au moins bien parler de celle-là.


J’ai beaucoup aimé ce film, il m’a fait mal. On dirait une comédie au départ, un peu foirée parce que ce n’est pas drôle. Les personnages ont leur part de fantaisie, de ridicule, un peu comme dans les films des frères Coen. Mais chez les Coen c’est une touche d’humour ; ici c’est la vie, avec ses moments de bizarreries, l’esprit d’un homme ordinaire qui a son quart d’heure de folie douce, ou les comportements étranges de n’importe qui. Les films ne nous habituent pas à cela, ils normalisent, ils mettent de côté tout une part de l’humanité dans leurs drames et tragédies, pour les injecter en masse dans les comédies. Dans The Homesman la bizarrerie fait partie intégrante du drame, elle en est le sel, l’épice inattendue.


Trois femmes sont devenues folles dans l’Ouest américain, la vie y est trop dure. Il faut les raccompagner au pays. Une vieille fille se dévoue, s’acoquine avec un brigand pour l’aider. Alors on suit une trame assez classique, avec une superbe photographie, on ne sait pas trop où on s’en va. Puis le film nous poignarde au milieu ; ce qui était bizarre voire comique devient déchirant. Maintenant on sait que ce film n’est pas une comédie ratée.


J’avais déjà beaucoup aimé Trois Enterrements du même Tommy Lee Jones. C’est un filou. On suit un film qu’on croit avoir déjà vu, mais il a son propre chemin, il a ses choses à dire, il n’impose rien qu’une tristesse, une impuissance amère face à la cruauté du monde, face à ce qu’on constate de nous-mêmes tous les jours. Le combat n’est pas collectif, il est individuel, isolé, sans impact. Le monde continuera de tourner de travers. Il y a ces films, le feel-good-movie, ces films qui font du bien. On les regarde, les injustices sont criantes, les choses à faire évidentes. Le spectateur est du côté du héros opprimé, jusqu’à ce qu’il retourne à sa petite vie et que par imbécilité, fainéantise, ou intérêt personnel, il soit parfois celui qui opprime.


Dans les films de Tommy Lee Jones, le Bien ne triomphe pas. Il se paye. Il faut s’acharner, combattre, répéter, crier dans les oreilles des sourds, voire les mettre à terre. Comme dans les autres films. Sauf qu’ici il n’y a pas de victoire, pas de changement durable, pas de médaille. On en ressort fatigué, et les récompenses à une belle action sont sans valeur concrète.


The Homesman est un anti-western. Le western est un genre qui, je trouve, s’apparente beaucoup aux romans de chevalerie du Moyen Âge. Les bons d’un bord, les mauvais de l’autre, le Bien qui triomphe par la violence et le sang versé, les duels, des personnages appartenant à la légende. C’est une version fantasmée de l’Amérique. Avec Impitoyable, Clint Eastwood a désamorcé cette vision. On est saoul pour étouffer la peur avant d’attaquer une banque. On tire de près parce qu’on est myope. On gagne parce que tout le monde panique. Et le shérif est lui aussi, dans son genre, une ordure. Avec Jesse James (celui avec Brad Pitt), là on se tire carrément dans le dos. Fini les duels à la loyale, les fines gâchettes. À travers The Homesman, Tommy Lee Jones poursuit cette vision désenchantée du far west, en se focalisant sur le sort des femmes qui, comme dans Impitoyable, sont les victimes d’un monde d’hommes qui les nient jusque dans la mort.

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le 29 oct. 2015

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