Une épopée exemplaire sur le destin tragique d'une nation
Un des films qui m'a le plus touché et auquel je peux repenser souvent, un objet que j'adore pour sa perfection mais qui reste muet, voulant lui faire dire des choses alors qu'il a déjà tout dit et tout montré. Qu'est ce que je pourrais ajouter de plus ? Sinon ajouter une critique inutile qui traduira mal les sensations que j'éprouve et avec un amateurisme indigne d'une véritable analyse sur la portée culturelle et artistique de cette oeuvre ?
Je vais simplement dire, avec mes mots à moi, ce que j'ai aimé particulièrement et ce qu'il serait souhaitable de voir plus souvent dans le cinéma : une épopée urbaine intelligente et à l'ampleur universelle. Il n'existe pas beaucoup de films dans cette catégorie, pour des raisons financières entre autres, mais aussi parce qu'il brise le cercle de l'intimité, avec l'intermédiaire d'un monstre légendaire engendré par les humains eux-mêmes, alors que bien souvent, notamment dans les films américains, c'est le cercle intime qui se trouve être le dernier refuge et qui va lutter contre la monstruosité non-humaine. Pas d'idéalisation ici, nos héros sont faibles et pourchassés par le pouvoir et la valeur des relations familiales n'est plus une idéologie factice trempée dans les bons sentiments, la force de leurs relations est concrète et elle est autant mise à l'épreuve que l'ensemble de la société.
Ce qui fait que tout arrive à la fois : la peur, le rire, la politique, l'enfance, l'injustice, la cruauté, la bêtise, la médecine, la science, l'argent. Mais ce n'est pas maladroitement juxtaposé comme certains le disent, au contraire très peu de réalisateurs arrivent restituer un ensemble de situations dans une même séquence, où en deux secondes l'ambiance change radicalement, et le tout porté par une chronique sociale à travers le destin d'une famille. Cet assemblage hétéroclite est rendu harmonieux, superbement interprété et hautement symbolique. La musique est superbe et le montage parfait. Et cet équilibrage calibré avec précision est en plus au service d'une véritable création artistique qui peut mêler le grotesque au tragique, avec une cocasserie enfantine générale qui taquine gentiment la responsabilité des adultes.
Film assurément nationaliste, l'auteur plaide l'innocence d'un peuple maintenu dans l'enfance. La lutte contre le monstre est un affranchissement, un rite de passage chevaleresque douloureux qui essaie de réparer les fêlures d'une histoire bafouée. Les coréens ne se sont pas trompés en se rendant massivement dans les salles pour The host et ils se sont complètement reconnus dans cette épopée familiale. Lorsque le père sort les deux enfants de la gueule du monstre, comme si il procédait à une sortie extra utérine au milieu d'un champ de bataille, la Corée et même plus largement les pays asiatiques, font une difficile réconciliation avec eux-mêmes. Photographie surréaliste montrant le devenir d'une société qui se cherche, Bong Joon-Ho leur a fait le plus beau cadeau qui soit : un récit mythologique moderne de résistance qui les porte à être meilleurs et plus indulgents. Un monstre d'origine inconnue vient à nous parce que nous avons nous-mêmes participer à sa création et ce ne sont pas seulement les autres qui peuvent agir à notre place, c'est aussi de notre responsabilité et le courage est tout simplement de vouloir vivre encore de notre manière, même si les conditions géopolitiques nous sont défavorables.