L'art est partout. De ta façon de t'habiller à celle de caresser les fesses de ta moitié (ou tiers pour les plus frivoles), l'art est partout. D'une façon de soulever la coupe du monde à la manière de dresser une table et présenter une entrecôte saignante, l'art est partout. Tout a une portée esthétique, et donc artistique, pour qui peut (ou veut) voir.


Et si le logo du festival de Cannes n'apparaît pas, comme à l’accoutumé, en début de la bobine de The House that Jack Built, ce n'est pas un caprice de rétorsion à l'encontre de l'enseigne palmée, c'est bel et bien pour l'art : pour démarrer l’œuvre dans le noir le plus complet. Lars voulait un noir abyssal qui ne soit précédé d'aucune lumière, un funèbre noir nous ramenant à «une fin» : celle d'un Homme pris dans les tréfonds de l'enfer accompagné de ce qui nous semble être un diable aux allures de psychiatre.


Le ton est donné, sombre sera cette histoire, sombre sera l'humour, sombre comme une partie de ces cons dans la salle qui s'esclaffe de rires caricaturaux à la moindre scène qui prête à sourire. À l'instar de Nymphomaniac, ou encore de son titre provenant d'une comptine servant aux mioches à apprendre l'anglais, The House the Jack Built se dévoile comme étant une «délicate» fable de vie qui se fait à travers un singulier apprentissage.



«Désormais l’artiste ne crée plus l’œuvre, il crée la création.».
Nicolas SCHÖFFER, sculpteur et plasticien.



Bien loin d'une simple projection d'un réel quelconque, l'art contemporain dépasse désormais la simple représentation pour représenter tout un processus. Et c'est à travers ses remarquables créations cadavériques que Jack apprendra à apprivoiser la vie et nous intéressera.


La profondeur d'une œuvre dépend avant tout de ce qu'elle exprime. Toute la singularité de la récente filmographie de Lars réside dans le fait que le sujet n'est qu'un prétexte à exposer ses truculentes pensées en toile de fond. Comme annoncé au début du film, cinq «incidents» seront racontés. C'est là que se pose l'unique problème. Le côté «slasher» se voulant réaliste, Lars proposera de longues scènes travaillées un tantinet longuettes où n'en résultera qu'un certain côté lourdingue par moment. Dès lors, en tant que spectateur, on peut vite se surprendre à baragouiner dans sa tête «Fais ton crime Larsouille qu'on puisse développer ton propos à travers ton personnage pardi».


Car effectivement la quintessence du film se trouve dans la réflexion humaine qui succède à ces meurtres. Après avoir «gagner en empathie» pour le pédophile dans Nymphomaniac, notre chanceux élu est, ce tour-ci, un sérial-killer.


Un quoi ?


https://www.youtube.com/watch?v=xt_IalOQrJw#t=8s


Une fois de plus ici, tout est prétexte à développer de multiples sulfureuses pensées cinématographiques à travers des images que seul Lars a le don , ou les couilles, d'exploiter de la sorte. Attardons nous par exemple sur le fameux schéma aux lampadaires : en deux minutes le cinéaste parvient à nous proposer une explication, sans didactisme ni jugement, sur le mal-être humain qui va au-delà de celui du serial-killer ou du fou. Et il ne s'arrête pas là. Il n'y a qu'à repenser aux notions de justices partagées lors de la mortelle scène de chasse où il développe un propos, et donc un point de vue, humaniste sur les inégalités de vie. Propos toujours plus poussé plus tard dans le film, et cela sans consensus, quand seront abordés les camps de concentration. En exploitant nature et génocides, nous sommes bien loin des réflexions bidons noyées qui suivent le courant électrisant des bons sentiments.


Le septième art, à n'en point douter, doit beaucoup à Lars. L'essence même de l'art se retrouve dans son cinéma, il exprime sans filtre ce qu'il souhaite partager au monde : une pensée, une plastique, un imaginaire, une réalité. Une chose est sûre, c'est que le cinéma se porterait bien mieux si on osait de prendre d'avantage de libertés telles que les siennes au lieu de respecter une fade conformité. Remplaçons calibrage par audace dans cet univers et soyez certains qu'il y aurait bien plus de huit pattes si, vraiment, dans le cinéma l'art régnait.


Quoi qu'il en soit, la maison de Jack restera une pièce maîtresse à l'image de l'art : tantôt ennuyeux, tantôt captivant mais toujours porteur d'idées et dépassant les frontières de la simple représentation.


(Ce parallèle ne fonctionne pas avec l’impressionnisme.)


Bien qu'il y ait des moments écorchant notre patience qui précédent d'exquises consolations d’introspections, notre architecte du cinéma (LVT) saura sauvé son scénario de la même façon que son architecte loupé (Jack) en lui inoculant le besoin de se mettre en danger afin de se sentir en vie. Les petites doses d'adrénaline permettront de nous tenir suffisamment en haleine le temps de la corvée morbide.


À l'image de l'art dans sa globalité, The House that Jack Built ne fera pas l'unanimité tant il fait appel à une certaine sensibilité. Aussi bien pour ce temps offert au slasher, qui en ravira certains, que pour ce temps axé sur l'approfondissement, qui en ravira d'autres. Et c'est un autre point qui est merveilleux avec Lars von Trier : c'est que le spectacle est en deux temps. Un temps pour le film, un temps pour des réactions aussi énervantes que captivantes. C'est alors que l’œuvre devient succulent poison quand imbéciles et art se niquent.

Alex-La-Biche
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le 16 juil. 2018

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Alex La Biche

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