5 ans après son Nymphomaniac, un film de 5 heures sur la vie sexuelle très ouverte de Charlotte Gainsbourg découpé en 2 parties, Lars Von Trier, le réalisateur danois aux propos provocateurs et jemenfoutiste, revient avec The House That Jack Built, une sorte d’odyssée métaphysique à travers la vie de Jack et les meurtres qu’il a réalisé. Découpé en 5 actes, ou plutôt 5 incidents comme le film le précise, nous suivons le personnage de Jack, un architecte psychopathe seriel-killer bourré de toc et complètement antipathique vis-à-vis de l’être humain. Narcissique jusqu’au possible et définissant ses meurtres comme des œuvres d’art, ces incidents sont racontés durant sa descente en Enfer accompagné de Verge, une sorte de guide lui prêtant une oreille attentive durant son récit.


Je préfère préciser maintenant : le film étant très ouvert sur ses différentes interprétations car contemplatif, jouant sur l’image et son discours, il est difficile d’amener une critique qui serait un tant soi peu objective concernant ce que représente le film. C’est pourquoi j’aborderai cette partie ensuite, en commençant d’un point de vue technique. Par logique, c’est ce qui apparaît de plus brut quand on parle de ce film.
L’œuvre est parfaitement rythmé dans son montage et sa narration, spécialement via le découpage en 5 actes avec l’épilogue. Les plans filmés en extrême ralenti comme des peintures à l’huile, pouvant rappeler le Romantisme du XIXème siècle, sont très beaux. La caméra épaule, fidèle à Lars Von Trier, nous donne en permanence l’impression d’être dans le rush, dans l’esprit instable qu’est Jack. La musique, principalement une partition au piano, revient à plusieurs moments, le personnage de Jack la définissant comme une pure œuvre d’art.
D’un point de vue purement personnel, concernant l’humour (car oui le film en contient), le côté hyper cynique et provocateur (la grande utilisation d’images d’archives des nazis comme pour faire écho aux propos que Von Trier avait tenus pendant la sortie de Melencholia) fonctionne bien, au point où on se retrouve à rire devant des monstruosités.


Le côté technique, c’est fait ! Maintenant, passons du côté interprétation. Je vais me répéter je pense, mais ceci est purement ma vision de choses et du film. Mon interprétation n’est pas la seule plausible, elle n’en est qu’une parmi des centaines.


The House That Jack Built est un film ultra-nombriliste. C’est une oeuvre entièrement sur Lars Von Trier lui-même. Le personnage de Jack est le réalisateur. Un personnage qui répète sans cesse qu’il tue, certes pour répondre à un besoin, une pulsion, mais il tue principalement pour l’Art.
Ceci transparait particulièrement vers une séquence proche de la fin. N’ayant pas assez de recul dans la chambre froide pour pouvoir viser proprement avec son fusil les têtes alignées de ses victimes, Jack se décide enfin à essayer d’ouvrir la porte qui semblait scellée et qu’il n’avait jamais ouvert. En l’ouvrant, il réinstalle son fusil, mais est interpellé par un personnage présent dans cette pièce, Verge. Celui-ci alors lui pose la question très pertinente : « N’étais-tu pas censé construire une maison, Jack ? ». Cela renvoie directement le personnage de Jack en tant que réalisateur s’étant perdu dans son propre délire d’essayer de transvaser des meurtres en tant qu’œuvres d’art dans une œuvre d’art (le film même), et que dans cet égarement, il a oublié même l’essence du film : son titre. La fausse pièce scellée comme la maison ne sont que des subterfuges par rapport à la volonté de Von Trier de partir dans la provocation et le subversif. Tout le voyage aux enfers avec Verge représenterait la carrière même de Von Trier, de ce que les médias pourraient dire de lui et le faire couler. Il se dit pouvoir faire face à ça, de remonter la pente, comme Jack voulant grimper la paroi pour arriver de l’autre côté de pont. Mais nous savons vers où cela mène.


Au final il reste très difficile de parler de ce film tant il semble vide et riche à la fois. On pourrait juste regarder le spectacle qui nous est présenté, une suite de meurtre de sang-froid avec un humour cynique et des provocations, ou essayer d’aller plus loin en se demandant s’il faut analyser chaque référence artistique filmique à travers un discours métaphysique.
Comme n’importe qui pourrait vous le dire, allez le voir et faites donc votre avis. Mais il y a peu de chance pour que vous oubliiez ce que vous verrez.

The80sGuy
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le 24 oct. 2018

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