Lars n'est pas Jack ! Jack est l'image démoniaque que l'on se fait de Lars, et il en joue !

J’étais très enthousiaste à l'idée de revoir ce film, car je l'avais vu a Cannes. J'en avais gardé le souvenir d'un film jouissif par sa poésie et son humour noir, très noir même, malgré un coté très provocateur auquel on s’attend en allant voir un Lars Von Trier. Très vite, il m'a semblé comprendre, et j'ai également pu le lire dans quelques critiques journalistiques, que Lars Von Trier s'exprime à travers le tueur. Jack raconte ses crimes en les justifiants par l'art et la poésie. De plus, il lui arrive de se justifier sur des sujets tel que la misogynie. Puisque Lars Von Trier est régulièrement accusé d'être misogyne, particulièrement avec Antichrist, on imagine que c'est lui qui se défend, de manière assez audacieuse d'ailleurs. Et puis il y a la question de la violence. A cannes, un certain nombre de personnes s'en sont allés au début de la scène ou le tueur prend pour cible une femme et ses deux enfants. Malgré la violence de la scène, j’étais satisfait de voir cela, et pour une raison simple, le film Climax de Gaspard Noé que je venais de voir juste avant, m'avais laissé sur une impression de manque de cruauté. Gaspard Noé ne montre pas vraiment l'enfant mourir dans son film. Et finalement c'est la déception du film de Gaspard Noé qui m'as fait adorer le film de Lars Von Trier. Car The House That Jack Built est certes violents, mais aussi drôle, et surtout profondément poétique. Je penses également que l'ambiance dans la salle, qui semblais très réceptive à l'humour noir du réalisateur danois, a participé à orienter mon regard sur le film dans ce sens.


Puis je vais le voir de nouveau, dans une plus petite salle, avec beaucoup moins de monde. Et la le sérieux des spectateurs dans la salle m'a fait voir le film sous un autre angle, et peut-être même comprendre la fin au passage. Quelque-chose apparaît quand même assez clairement, c'est que Jack nous est présenté comme un pauvre type. Cet architecte dans l'âme devenu ingénieur par défaut, trouve dans le meurtre une activité dans laquelle il excelle. Avec l'expérience son assurance et son arrogance monte, ce qui as pour effet de le libérer de ses tocs. La violence, aussi, m'est apparu plus crue-ment lors ce cette seconde vision. Le personnage monte crescendo dans l'horreur, et surtout dans le tabou. On pourrait penser que le meurtre d'enfant constituerais l'apogée de cette cruauté, mais il n'en est rien. Il va prendre le corps du plus jeune et le mutiler. Mais cela n'est toujours pas le pire. Lars Von Trier nous confronte aux limites de l'acceptable, voir du supportable, quand, alors qu'il parles d’œuvres d'art, il nous montre des images des camps de concentrations nazi pendant la seconde guerre mondiale. Et encore, pas n'importe quelles images, car celles d'une pelleteuse ramassant par dizaine des corps inertes et particulièrement squelettiques. Maintenant, et la on arrive sur la fin du film, le dernier meurtre n'est pas accompli, mais interrompu par l'entrée dans l'enfer avec Virgile. Quand je l'avais vu à Cannes, un ami m'avait fait part de sa frustration que le réalisateur ne soit pas allé jusqu'au bout de son idée à ce moment la. Mais cette fois-ci, un autre ami m'a fait une tout autre remarque, et celle ci me parait assez révélatrice sur le film. Mon ami, donc, se sentait coupable d'avoir envie qu'il aille plus loin. Après avoir assisté à une série de crimes, de plus en plus horrifiques, il avait fini par rentrer dans la logique du tueur, et donc celle de la consommation de ces meurtres.
Voila donc ce que j'ai compris de The House That Jack Built, à son second visionnage : Jack n'est pas Lars Von Trier. Je me demande même si Jack n'est pas un peu le spectateur. Il y a une scène ou il invite une de ses victimes à crier. Celle-ci le fait, et il lui fait remarquer que personne ne viens : Nobody want's to help ! Et donc, de même que pour Funny Games de Michael Haneke, le spectateur qui regardes le film jusqu'au bout est complice de la violence qu'il regarde. Qu'il subi même ! Car autant dans Funny Games que dans The House That Jack Built, la violence ne peut pas être consommable. A la différence que Michaël Haneke s'adresse directement au spectateur pour lui faire comprendre qu'il est manipulé, alors que Lars Von Trier lui propose la justification de ce qu'il voi, et donc la manipule plus franchement. Mais Lars Von Trier s'exprime dans l'entièreté du film, et non uniquement via un seul personnage, qui plus est assez minable. Virgile exprime un profond désaccord avec Jack, et si l'on ne prend pas en compte la mauvaise foi évidente de Jack dans l'emploi abusif de références artistiques, on est alors complice de ces assassinats, car on prend le parti de croire en leur justification. Finalement, on fait très vite cet amalgame entre le tueur et le cinéaste, et je crois qu'il en joue. Quand on va voir un film de Lars Von Trier, on y va avec plein d'aprioris. Lars Von Trier est provocateur, misogyne, et ses propos à Cannes sur Hitler ont été très limites, et donc très mal perçus. Alors, naturellement, quand ces sujets surgissent dans le film, on se dit que c'est le réalisateur qui nous provoque, repoussant sans cesses les limites de l'acceptable. Mais il y a pourtant Virgile pour nous rappeler à l'ordre. Peut-être donc que c'est aussi que nous voulons bien entendre ce que ce pauvre type, devenu tueur en série, nous raconte. Peut-être que ceux qui quittent la salle de cinéma pendant le film n'ont pas tords de le faire, parce que justement, ils ne peuvent cautionner de tels propos. Pour en revenir à la fin du film, quand Jack n’appuie pas sur la dernière gâchette, et que le spectateur est frustré qu'il ne l'ai pas fait, c'est bien que Jack n'est pas Seulement le réalisateur, mais aussi et surtout le spectateur lui-même, qui prend de l'assurance au fur et à mesure qu'il se trouve des excuses, bien que de mauvaise foi, pour justifier la violence cruelle et gratuite à laquelle il assiste.
Enfin, l’épilogue nous montre le parcours de Jack en enfer, quand il racontait son histoire à Virgile. En bas de l'enfer, une échappatoire existe, mais il faut escalader une falaise au dessus d'un abyme profond ou coule une rivière de lave. Virgile préviens que beaucoup ont essayés, mais que personne n'as jamais réussi. Bien sur, persuadé qu'il est un être exceptionnel, Jack tente de passer, et il échoue. Peut-être cela est surprenant pour celui qui c'est pris d'affection pour Jack. Mais je penses que Lars Von Trier n'aime pas vraiment Jack, car il nous le montre comme un homme particulièrement raté, qui dans la carrière du mal trouve un sens à sa vie. Ainsi, l'arrivée brutale du générique sur la musique Hit The Road Jack de Ray Charles, juste après sa chute dans le plus profond des enfers, semble être comme une moquerie. Fiche le camp Jack et ne reviens plus jamais, c'est ce que dis la chanson sur un ton particulièrement joyeux. Donc non, Lars Von Trier n'est pas Jack. Jack est certainement le Lars Von Trier que l'on imagine, mais on ne peut pas dire qu'il lui donne raison. Voila donc un film qui ne se contente pas de jouer avec le spectateur, comme on a pu l'entendre dans certains débats ou lu dans certaines critiques, il le prend au piège, et s'il reste, l'invite à se remettre sérieusement en question.

AngeDelamaure_de_Nav
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Créée

le 28 oct. 2018

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