"Etre un homme c'est bien, mais il y a encore mieux, être humain" Jules Romains

Avant toute chose cher lecteur, je dois justifier ce titre, surtout pour un film que j'ai littéralement adoré, ça peut paraitre idiot, voire contre-productif pour "l'entreprise que j'envisage et qui n'eut jamais d'exemple" (humhum, mon côté Rousseau ^^) mais le sens en est double. Alors avant de me lapider sur l'autel de Jean Roucas ou de Jean Blaguin humoriste, permets-moi cher lecteur de préciser mon propos.
J'adore les jeux de mots et c'est d'abord une manière humoriste (ou se voulant comme t-elle) de dédramatiser un sujet qui l'est déjà bien assez, et c'est aussi une manière de singer les critiques négatives de gens si cultivés en journalisme mais apparemment si ignare en cinéma tel que les Inrocks, ou Télérama (oui toujours les mêmes diront certaines mauvaises langues et force est de constater qu'ils n'auront pas tout à fait tort).
Mais c'est surtout et avant tout une manière de dire avec humour ce dont parle réellement le film de Juan Antonio Bayona (Jean Antoine Bayonne en VF).

Attention cher lecteur, si tu n'as pas vu le film, ne va pas plus avant dans la lecture c'est un conseil car analyse oblige, ce texte va être bourré de spoiler/révélations, (et de fautes d'orthographes accessoirement, j'y peux rien, quand j'écris passionnément, mon cerveau va plus vite que mes doigts). Maintenant que les mises au point sont faites, commençons.

La Thaïlande voyage en soi

Le film s'ouvre sur un plan de carte postale, de clip de voyage pour la Thaïlande dirait t-on, et c'est trés amusant, en tout cas à Marseille, quand on sait que dans l'avant-séance, une publicité pour le Maroc est filmée pratiquement exactement pareil, si ce n'est que le Maroc se retrouve couvert de neige parce que la jeune femme rêve à son ancien voyage dans l'appartement probablement New-Yorkais, en tout cas un gratte-ciel gris et morne. La phrase d'accroche est direct mais à mon sens erronée "le Maroc voyage en vous"... Pourtant c'est le Maroc qui se retrouve couvert de neige, et pas la jeune femme qui voit la Medina dans son salon, donc l'accroche ne me parait pas juste, alors que c'est justement globalement tout l'inverse qui se passe dans Lo Imposible; mais soit, arrêtons là la digression, et vous l'aurait compris, dès le premier plan, Juan Antonio Bayona fait confiance à l'intelligence de son spectateur et à sa capacité à ne pas déposer son cerveau sur le fauteuil d'à côté, car ça aidera pour la suite, et surtout pour ne pas faire comme la critique française qui est irrémédiablement passée à côté du film pour une fois de plus se rabattre sur ses vieux démons, "oulàlà ya que des blancs à qui il arrive des trucs dans le film" et surtout "oulàlà mais ça parle beaucoup de Dieu et de Chrétienté". Propos totalement erroné, nous le verrons par la suite.
Sans oublier "le travelling est une affaire de morale" et autre prétexte rivettien d'un autre âge mais qui pourtant perdure par delà les siècles (quand bien même, dans Nuit et Brouillard, Alain Resnais va jusqu'à recadrer des photos montrant les Croix-Rougiens qui aident les déportés à monter dans les trains. Soi-disant neutralité de la Suisse oblige. Mais bon, là c'est Resnais, alors c'est pas bien grave, quand bien même, on pourrait qualifier cette action et ce quel qu'en soit ses raisons, louable ou non, de révisionnisme acéré. But don't act, je reviendrais sur ses quelques notions dans un prochain paragraphe.

Au commencement était le Verbe...

Revenons-donc à nos moutons (ou du moins ceux sacrifiés dans le lit du fleuve) et revenons à ce premier plan large d'une étendue liquide, la mer, calme, sereine, et pourtant le spectateur qui a cette avance sur les personnages sait que ce calme est avant coureur du drame à venir. Ici, le réalisateur suscite un avant-goût de ce drame avec l'avion qui surgit dans le bord cadre en bas à gauche, dans un vrombissement effrayant préfigurant la série de cris, rugissements, feulements, bruits stridents qui ne manqueront pas d'accompagner le métrage, du moins dans sa première partie.
L'ordre naturel du monde est donc troublé par l'apparition d'un oiseau de métal humain dans cette nature plénière.
A son bord, des passagers, des touristes, et une famille, celle sur laquelle le réalisateur a choisi de placer son focus. L'intrigue commence façon "maman j'ai raté l'avion", "est-ce que j'ai mis l'alarme ", "n'embête pas ton frère il a peur" etc... sur une discussion banale d'un couple qui dérive ensuite dans la semi-dispute, où la mésentente et le défaut d'écoute est déjà présent en filigrane. Cela culminera juste avant l'arrivée du Tsunami, coïncidence, je ne crois pas, lorsque le mari Henry, ne captera pas les désirs de sa femme de reprendre son métier de médecin, le tout prononcé à demi-mots.
Cette présentation de la famille "unie" type se poursuit par une chamaillerie entre les deux fils plus âgés. Lucas le grand frère reproche à son moyen frère sa couardise à chaque secousse de l'avion, secousse dû aux turbulences, mais et ce n'est pas non plus un hasard, les turbulences sont aussi la manifestation sonore de ce qui se déroule graphiquement sous les yeux du spectateur, à savoir cette semi-scission familiale. Lucas se moquera d'ailleurs gentiment de sa mère lorsque cette dernière sursaute à son tour suite à des turbulences, "on se demande de qui il tient ça". Cette réplique en apparence anodine, trouvera d'ailleurs son exacte opposé laudatif quand le même Lucas intimera à sa mère de se réhydrater, ce que cette dernière commentera par un "je ne te savais pas si autoritaire et le gamin de répondre "oui, on se demande de qui je tiens ça" comprenant qu'il était allé un peu loin dans l'avion.

Les deux Joseph

Avant cette dispute, il y a eu lors d'une première secousse, la présentation de Maria, la mère, qui lit un livre. Quoi de plus anodin dans un voyage en avion, oui, me direz-vous, sauf que ce livre est un livre de Joseph Conrad, auteur à qui on doit entre autres "Voyage au coeur des Ténèbres", "Typhon" (à je vois que les cancres du radiateur viennent d'ouvrir un oeil intrigué) mais surtout, et quoi que n'en dise pas son titre "la folie Almayer" dont je reparlerais plus tard.
Je vous renvoie chers lecteurs à wikipédia pour une formation approfondie en Joseph Conrad si vous ne savez de qui on parle : http://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph_Conrad
Pour les autres, Conrad donc, est un écrivain polonais, né en Russie et dont la bibliographie est toute entière dédié à l'Aventure. Et c'est justement ce que choisit de nous montrer le réalisateur et son scénariste, en faisant s'échapper une page du livre de Maria (sans doute un livre qu'elle adore, non parce que j'ai beau réfléchir, mes livres neufs ne perdent pas souvent des pages) ; page qui va échoir sur le sol de la cabine.
L'aventure cherche à entrainer Maria mais elle n'est pas encore prête. Il est d'ailleurs intéressant de dire que cette remarque sur l'importance de montrer ce que lit Maria, et cette page qui s'envole n'est pas, elle non plus anodine. Puisque, le réalisateur revient à la charge, un peu avant le tsunami, en faisant à nouveau s'envoler une page (ou est-ce la même) du livre de Maria, page qui va venir s'échouer sur une vitre grâce à un vent malicieux, ou destinataire (relevant du destin en somme).
Dans un plan filmé derrière la vitre, et à dessein, Maria observe des gouttes d'eau se formant sur la vitre. L'Aventure tente à nouveau sa chance, mais symboliquement, Maria n'est toujours pas prête, comme le montre la vitre (on verra par la suite, que cette vitre s'intensifiera en terme d'opacité dans le parcours initiatique de Maria, et se fissurera, puis se brisera quand Maria sera vraiment prête, c'est à dire quand le voile de ses illusions aura été ôté, au prix d'une confrontation avec la mort, ou quasi, mais ne brûlons pas les étapes). Juan Antonio Bayona après avoir filmé Maria de dos derrière la vitre, la filme de face devant la vitre, avec cette fois la vague qui vient vers elle et la submerge, comme elle submerge tout ce qui bouge et vit dans la station balnéaire.
Maria tourne le dos à son destin, et la mer en furie submerge la mère en proie au doute.

Un mot sur non pas Typhon, mais l'oeuvre de Conrad qui se rapproche le plus de The Impossible dans ses thématiques, "la folie Almayer".
En 1896, il publia son premier livre, La Folie Almayer, où il dépeint la perdition d’un Occidental en Malaisie (je vois que les cancres du dernier rang ont de nouveau ouvert un oeil attentif, oui, ce choix de ce romancier n'est en rien un hasard).
Maintenant, Juan Antonio Bayona et son scénariste Sergio Gutiérrez Sánchez ont-ils choisi le roman en question dans le film, rien ne permet de l'affirmer, puisqu'on ne voit pas le titre du livre. Mais quoi qu'il en soit, choisir Joseph Conrad pour lui-même est tout aussi pertinent car certains regardent Conrad comme un précurseur de l'Existentialisme ; ses personnages sont faillibles, désenchantés, mais ne renoncent jamais à affronter la vie.

A ce moment précis de notre étude, un autre Joseph n'est plus trés loin, le mythologue Joseph Campbell à qui on doit la "découverte"/exposition du monomythe, sorte de décorticage du passage obligé de tout héros ou élu de récit initiatique ou légendaire à travers une série d'épreuves qui est toujours plus ou moins basé sur le même schéma, et ce quel que soit le pays, la culture, dont il dépend.
Si cet homme t'intéresse, ami lecteur, apprends qu'il a été le professeur entre autres d'un certain George Lucas, et cours vite lire "The Hero with Thousand Face", réédité récemment, décrivant "le parcours du héros" : http://fr.wikipedia.org/wiki/Voyage_du_h%C3%A9ros

Le voici en raccourci, afin que tu te rendes bien compte ami lecteur, que le film The Impossible est pile poil dans ce que relate le voyage du héros de Campbell :

"1)L'appel à l'aventure, que le héros accepte ou bien refuse dans un premier temps
2)Une série d'épreuves
3)L'atteinte de l'objectif, qui donne au héros un savoir important
4)Le retour dans le monde ordinaire
5)L'utilisation du savoir acquis pour améliorer le monde"

Lorsque la première vitre des illusions de Maria est brisé par la vague, l'appel à l'aventure peut commencer. Et quelle aventure. Bibliquement, elle commence par un déluge, puis elle est malmenée sous les eaux jusqu'à ce qu'elle réapparaisse à la surface. L'eau et ses profondeurs avec tout ce qu'elles peuvent receler de terrifiant au niveau symbolique, visuel, sensoriel, dévore l'ancien moi de Maria, remodèle son corps dans la souffrance ; Et lorsque elle surgit à nouveau à la surface, un changement s'est déjà opéré. Changement qui ne nous sera révélé à nous spectateurs qu'à la toute fin du film, lorsque Maria sera confrontée une deuxième fois à la mort.

Les Dents de la Mère/Mer

Maria émerge de l'eau, meurtrie de partout, mais ça, elle ne le sait pas encore. Elle retrouve son fils ainé et se traine sur le rivage. C'est là qu'elle entend une voix d'enfant qui pleure (et appelle sa mère d'ailleurs). C'est aussi là que commence dans la presse française, la bêtise et la cécité la plus incroyable. Ce n'est pas parce que Maria est une occidentale qu'elle fait faire à son fils le chemin pour aller sauver Daniel. C'est parce que c'est une femme, avant tout, donc une mère, et surtout bien plus que ce stéréotype de la mère protectrice, c'est parce qu'elle a affronté l'inimaginable, vécu l'indicible, et que tel le livre de l'écrivain qu'elle lit, elle comprend que son rapport au monde et aux autres doit changer.
Ceci étant dit, elle est déjà médecin, donc serment d'Hypocrate oblige, elle a déjà une conscience bien plus élevé du rapport aux autres que la plupart des gens. A commencer par les Inrocks ou Télérama qui laisserait mourir sans sourciller un enfant, convaincu que l'humain dans une situation de crise se révèle dans la sauvagerie, alors que personnellement, je suis convaincu du contraire, et le 1109 et les réactions des gens qui l'ont vécu sont là pour en parler. Beaucoup comparent l'action de Maria (et de la plupart des autres personnages), toute proprette avec WOW de Spielberg, en défaveur de l'espagnol.
Mais dans WOW de Spielberg, déjà ce ne sont pas des femmes les instigatrices de la violence, mais des hommes, et de plus, WOW dépeint une amérique "redneckisée" (chiens de paille n'est pas si loin) ou la survie est loi.
Par ailleurs, on ne réagit pas de la même manière dans une catastrophe naturelle et dans une attaque terroriste. Quand on a un ennemi déclaré, et quand on en a pas. quand l'ennemi est humain donc peut avoir en substance des "complices" partout, ceci pouvant entrainer une paranoïa à propos de l'autre, et quand il est environnemental.
En tout cas, il est bon de savoir que si un Tsunami s'abat en France, des journalistes ne feront rien pour tenter de sauver des gens autre que eux ou leurs familles, on a l'élite qu'on mérite. Comme quoi on peut être cultivé, et pourtant bien loin d'être éduqué à l'autre.
Si Maria a cette réaction face à son fils pour aider les autres, c'est peut-être encore une fois à cause de/grâce à Conrad, car après tout ne sommes-nous pas le produit de notre culture, de notre éducation et surtout de nos lectures ? Voilà un son de cloche, bien différent de la pensée de la presse, n'est-il pas ?

Euphonie

L’euphonie, dans le domaine de la musique, désigne une agréable et harmonieuse combinaison des sons.

Ici, c'est tout le contraire, le film commence avec des craquements métalliques, des grincements d'ailes d'avion, pratiquement avant-coureur eux aussi du drame à venir, puis se poursuit lors de la superbe séquence d'annonciation de la vague, qui part d'un travelling avec le bruit assourdissant et agressif d'un mixer au premier plan, aussitôt rendu au silence dans un couac aussi subit que dérangeant.
Puis les eaux se mettent à gronder, et avant (ouverture au noir du film)et après la frappe de la vague, le cinéaste espagnol va jusqu'à personnifier la Mer dans une allégorie fantastique, provoquant son arrivée et son emprise à la manière d'un monstre mythologique. On pense à Jurassic Park, on pense aux Dents de la Mer du même Spielberg, on pense à The Host. Un monstre mythologique digne du Léviathan qui vient dévorer les arbres et qui est tout d'abord invisible, avant de se révéler, et de frapper.
Sous l'eau, les branchages, le roulis, etc... devient cris de bête fauve, on bascule dans l'horreur, mais quelle horreur ? Ne serait-ce pas l'horreur d'une nature lassé de l'être humain et qui s'emploie à tuer aveuglément sans distinction de race, de couleurs, de religions.
A ce cri primitif, pourrait-on même dire primal de la nature s'adjoint les hurlements de terreur de la jeune femme Maria. A noter que les mêmes cris prendront une toute autre signification après la révélation de la séquence d'opération ultime de Maria.
Et puis viendront les cris de l'enfant blond Daniel, sorte de Moïse sauvé des eaux ou de chérubin biblique qui réveille l'humanité acquise de Maria, et celle perdu, du moins effacé de Lucas.
Lucas qui passera à son tour par des cris de souffrance pour mettre sa mère en sécurité sur l'arbre, lui aussi quasiment biblique, (celui de la Vie, ou celui de la Connaissance). Le cri c'est la vie.

Eurasie United Colors of Bande de Cons

En parlant d'avis, revenons sur la vision stupide de journalistes aveugles, infatués de leurs visions, enfermés dans des schémas mentaux qui ont failli détruire le cinéma, en reprenant la vision dépassée d'intellectuels limités, et qui eux-même ont repris les propos d'autres sans même avoir vu le film en question. Je parle bien entendu du film de Gilles Pontercorvo, Kapo, et de la polémique tristement célèbre qui ne a résulté, et qui a repointé le bout de son nez. : http://simpleappareil.free.fr/lobservatoire/index.php?2009/02/24/62-de-l-abjection-jacques-rivette
Mais surtout, bien plus grave, infoutus de voir les nombreux (et pas quelques) plans sur la désolation que le Tsunami provoque sur la population Thaïlandaise. Car oui, Juan Antonio Bayona ne se contente pas de filmer la détresse des touristes comme lu un peu partout mais ne manque jamais de raccorder la catastrophe à la population. Le meilleur exemple en étant les nombreux traveling arrière qui parte de l'intime du couple ou des touristes pour élargir au général. En particulier un, sans doute le plus marquant de tous, qui part du jeune Lucas à l'intérieur de la tente des médecins pour arriver à l'extérieur à l'ensemble de l'hôpital et de la population en pleine effervescence.
Population qui gère d'ailleurs bien mieux le problème que les touristes européens d'ailleurs. Le parcours est certes celui de Maria, mais les Thaïlandais ne sont pas pour autant reclus au mythe du bon sauvage.
De la même manière que Spielberg (encore lui, tiens donc) dans la Liste de Schindler, utilise le contexte de la Shoah pour parler du parcours initiatique de ses deux personnages masculins, Juan Antonio Bayona utilise le contexte du Tsunami pour parler du parcours initiatique de son personnage féminin, et in extenso de sa famille.
Et de même que Spielberg en traitant son sujet dans la Liste n'oublie pas de faire une allusion aux morts de la Shoah par l'intermédiaire de ce plan fugace mais important sur les cheminées fumante des usines que Schindler contemple d'un oeil grave à cheval, comme pour nous dire, voilà l'extermination, voilà où s'arrête mon droit de parler du sujet ; Juan Antonio Bayona nous montre les cadavres à tout moment du film.
Partout où ses personnages portent le "regard" pour "respirer" il ya cette réalité qui les rattrape, mais avec la même finalité, "je ne suis pas là pour faire un film pop-corn catastrophe avec mon sujet" nous dit Bayona.
D'ailleurs cette conscience du réalisateur passe par des plans de found footage (Cloverfield, Paranormal Activity, Rec). Le jour de Noël, le père filme les enfants au sortir du lit, et jusqu'à la distribution de cadeaux. Le voyeurisme s'arrête à cet instant, parce que Bayona est un réalisateur qui a conscience de son sujet et qui sait avec intelligence et finesse, peu de critique l'ont vu ou relevé, comprendre les limites de son sujet.
Si les héros avait été des Thaïlandais comme on lit un peu partout, le sujet n'aurait pas été du tout le même. Surtout que le réal ne manque pas de montrer le comportement héroïque de la population Thaïlandaise justement. Et ça n'est pas parce que l'infirmière est Thaï qu'elle se manque dans les dossiers, c'est parce que pour avoir connu les urgences d'hôpital en tant que patient, ça arrive continuellement. Et ce n'est pas parce que le vieux est un Thaï qu'il traine maladroitement Maria blessée au lieu de la porter sur son dos, mais parce que c'est un vieux justement.

Européens ≠ Blancs

Axiome incroyablement simple à comprendre, et pourtant, des espagnols blonds aux yeux bleus c'est choquant... Certes, mais Bayona en prenant Naomi Watts (Australienne) et Ewan Mc Gregor (Anglais), outre pour des notions de rentabilité, voire de faisabilité de son film, nous plonge encore plus dans le faux-vrai de cette reconstitution vraie-fausse.
Il nous intime par là de regarder avec nos yeux de spectateurs : le spectacle du latin "spectaculum" "vue, aspect, et par extension : "Vue d’ensemble qui attire les regards, l’attention".
En utilisant des figures récurrentes d'Hollywood, Juan Antonio Bayona nous donne à voir justement tout l'inverse, à savoir un film de l'intime, utilisant le spectaculaire comme moyen et non comme fin, s'extrayant ainsi des référentiels que peuvent véhiculer ses deux comédiens principaux dans les productions Hollywoodiennes formatés.
Il en va de même pour la réalité du film. Il est certes tiré d'une histoire vraie et c'est dit dès le carton d'ouverture... Sauf que, le réalisateur prend bien la peine de faire "clignoter" son carton "une histoire vraie" du "tiré d'une histoire vraie", en finissant par l'exposer seul, avant de passer à la scène d'exposition du film.Comprendre, le film est tiré de faits réels mais ce dont on va parler va plus loin que le réel. D'ailleurs pour un film sur la perte d'illusion, quelle plus belle façon de faire.
Ce carton quasiment Godardien dans son jeu sur le mot et la forme est passé complètement inaperçu au yeux de la critique, m'enfin messieurs, dames, journalistes, élite de la France culturelle, si le monsieur il se paye de faire un effet formel c'est pas pour rien, sinon il se serait contenté d'un fondu au noir basique de tout le groupe de mots.

Phuket ≠Fouquet's

Certes, ça s'entend pareil mais ça désigne pas la même chose, loin de là. Dans le film c'est pareil.
Lorsque Juan Antonio Bayona filme la désolation de la Thaïlande, ça n'est pas pour dire "oh c'est triste pour les touristes, c'est tout détruit", comme j'ai pu le lire ici ou là, mais bien pour montrer, tel un George Miller ibérique, que l'ampleur de la catastrophe est telle que chaque action du plus petit membre de la communauté humaine a non seulement un impact énorme mais surtout fait montre d'un humanisme incroyable alors qu'en fait c'est juste réagir "logiquement".
Bayona, autre chose, parle de "spiritualité" au niveau mythologique, là où les gens, espagnol oblige, ont entendu "Chrétienté". Combien de fois j'ai lu de stupidités sur le Dieu de la fin (à la fin il n'y a qu'un seul Dieu, et Campbell oblige, c'est Maria).
Le Soleil comme rapport au divin est juste "1 000 000 de fois" plus ancien que la Chrétienté, mais voilà, c'est ça quand on a une élite culturelle aussi inculte en terme de mythologie que d'histoire de la religion. Alors ce n'est pas parce que chaque membre de la famille va se retrouver confronté à la lumière que pour autant on parle de Dieu, ou du Dieu des Chrétiens.

Eutonie

L'eutonie est une discipline créée par Gerda Alexander, basée sur l'écoute de son corps pour mieux le connaître et donc mieux l'utiliser.
Elle est parfois utilisée lors de séances de préparation à l'accouchement, mais aussi par des personnes n'étant pas en situation particulière et à qui cela apporte un mieux-être.

Encore une fois, l'écoute du corps commence par la souffrance, il en va ainsi de Maria qui se retrouve déchiquetée sous la jambe, dans un plan quasi sub-liminal qui est découvert du point de vue de Lucas, son fils, et lorsqu'il se retourne, elle constate à son tour de son point de vue, la souffrance de son fils en découvrant ses vertèbres (ce qui fait tenir droit, la symbolique est ici évidente) rougies et marqués de bleus.
Et ce n'est que lorsque Lucas se retournera vers sa mère qu'il verra l'impensable, le tabou le plus ultime que ce soit dans l'art cinématographique hollywoodien (donc ce film n'a définitivement rien à voir avec le bois de Houx) ou dans l'art tout court, l'atteinte au sacré le plus évident, le sein de sa mère est déchiré.
Il est forcé de s'extraire de cette vision en disant "je ne veux pas te voir comme ça". le jeune Lucas sur la voie de la fin de l'enfance, se prend la même gifle que le jeune Jim dans Empire of the Sun (encore cet homme, promis, c'est la dernière fois que j'en parle ici).
Sa mère, ce roc qu'il croit inébranlable, inaltérable est tout aussi humaine que lui. Ce voile d'illusion supplémentaire se brouille et se fissure en lui. Quand à Maria, le réalisateur dans sa mise en scène lui fait voir le dos de son fils, car quand ce dernier lui fera la courte échelle, elle devra tout en grimpant sur l'arbre ressentir tout ce que ce sacrifice filial a de fort, car Lucas souffre à en crever mais il ne dit mot. Et par là-même, il prépare son futur de "passeur", lors de la trés belle scène des noms dans l'hôpital.

Passés ces deux visions d'horreur, car on est immanquablement dans le "gore" le plus sordide, fusse t-il soudain et fugace, même le pire des tortures porn (Hostel, Saw) ne pourra égaler cette atteinte à l'intégrité de deux piliers du tabou cinématographique : l'enfant et la femme. Et c'est ainsi que grâce à deux/trois plans d'une fraction de seconde, on demeure pour l'intégralité du métrage dans un malaise permanent, quand bien même la monstration de gore ne dépassera pas même le cadre de l'hôpital. On revivra toutefois quelques passages chocs dont l'explication plus aboutie des blessures de Maria lors de sa scène de renaissance.
La phrase "pense à quelque chose d'agréable" revient plusieurs fois dans le film, et sans doute est-ce une maxime de médecin, voire d'anesthésiste, car j'en reviens encore une fois, pardon à mon expérience personnel, c'est la phrase que m'a dit l'anesthésiste avant mon opération.
Et si pour les enfants apeurés, la phrase magique fait effet, et si elle fit effet pour moi également, enfant apeuré que j'étais ce jour là, il n'en est pas de même pour Maria.
Lorsque l'infirmière lui conseille de penser à quelque chose d'agréable, Maria revit à ce moment là son calvaire subaquatique, en même temps que son fils Lucas rêve sur le lit d'hôpital. Quelle idée de mise en scène excellente pour lier inextricablement le parcours d'une mère et de son fils.
Maria revit donc la violence de son périple, jusqu'au bout, jusqu'à la mort quasiment, pour ensuite renaitre à la vie, après que le plus opaque des murs de son illusion de femme occidentale choyée et gâtée par la vie se soit brisée, l'inondant de lumière salvatrice. Bayona s'attarde d'ailleurs sur cette scène clé du film avec intelligence, en utilisant à bon escient la caméra Phantom capable de filmer 1200 images par seconde, pour pouvoir faire participer son spectateur à la ressurection de Maria dans son entier.
Maria confronté à la terreur la plus pure se retrouve à hurler dans les abysses, mais ce n'est pas le cri de terreur de la séquence de surface, c'est un cri primal, une exaltation de son moi profond, la fin de son illusion, et lorsque sa main, puis son être jaillit au ralenti hors de l'eau, le spectateur ressent que Maria a changé, Maria fait un avec l'Univers. Avant cette sortie, Maria est remontée sur le dos bras en croix, pendant que les âmes perdues restaient en profondeur.
Ce cri et ce jaillissement, figure sacré par excellence, j'ai bien dit sacré, pas chrétienne, fait analyser le cri de surface lorsque Maria est attaché au pilier ou à l'arbre, sous un autre angle. Ce n'est plus un cri de terreur de quelqu'un qui pense qu'il va/peut mourir mais un cri d'angoisse existentielle mêlé de rage de quelqu'un qui sait qu'il va/doit vivre.
Henry, le père va lui aussi passer par un chemin similaire, mais plus bref, qui le verra tenter de sortir de sa caverne d'illusion, ah Platon ! Illustré par un plan en plongée à l'intérieur de sa chambre d'hôtel dévastée et d'un contre-champ e contre-plongée vers un trou dans le toit qui verra apparaitre ses deux enfants tel des fantômes, pour s'ouvrir aussi au monde et aux autres.
Lucas enfin, parti sans but dans l'hôpital pour aider sur les conseils de sa mère va trouver par hasard, une manière de se rendre utile au-delà des mots, d'ailleurs, cette scène des noms est une des plus belles trouvailles du film de Juan Antonio Bayona, une de ces idées qui l'élèvent parmi les plus grands, en seulement deux films.

Euphorie

L'euphorie (du grec euphoria) est un terme médical désignant une impression inadéquate de bien-être physique et moral, de contentement, de confiance en soi, d'exaltation et d'excitation, chez un patient ayant la sensation de se porter bien ou mieux.

Et c'est exactement ça que le spectateur ressent à la sortie de l'hôpital de Maria et de sa famille. L'impression inadéquate que tout va bien. L'agent d'assurance de Zurich vient chercher les touristes privilégiés, alors que la caméra du réalisateur nous montre une femme s'effondrer telle la mère du soldat Ryan (ah ben je l'ai pas dit hein) à l'annonce de la mort de son mari, probablement.
Mais aussi l'insistance sur les panneaux où la plupart des rescapés cherchent leurs propres familles, et surtout, les cadavres de cette multitude d'inconnus, enfermés dans des bâches que le réalisateur cadre bien intentionnellement dans son bord cadre bas, là où le regard du spectateur va inexorablement venir se positionner.
Dans l'avion, l'ambiance est similaire.. Une porte claque, de nouveau un mouvement de turbulence pendant le décollage. L'horreur de ce qu'ils ont vécu est chevillé à leurs corps, ils ne seront plus tout à fait les mêmes, et c'est bien ce que le réalisateur illustre, en montrant chacun regarder des parcelles de leurs identités, fausses (Murielle Barnes, ou la famille de l'homme qui accompagne Henry)ou incomplètes (Lucas B), car au fond le film questionne justement, qu'est-ce que donc que l'identité d'une personne, également.
Comme dans tout récit cosmogonique, Maria devenu le Dieu de son propre univers, contemple la détresse de la Thaïlande ravagée, à travers le surcadrage du hublot, et son reflet dans la vitre renvoie ici à quelque chose de l'ordre du divin, la Nature personnifiée, pourquoi pas.
Et cela est d'autant plus possible quand on sait que le film avait longtemps été envisagé comme un film fantastique (source : http://www.capturemag.net/etat-critique/lordre-des-choses/.
En témoigne l'apparition quasi sépulcrale et le discours non moins fantômatique du personnage de Géraldine Chaplin sur les étoiles qui sont mortes et dont on ne sait pas lesquels restent vivantes et lesquelles ont péri.
Et c'est un peu comme l'issue d'un Tsunami finalement, on se dit que cette façon d'envisager un des derniers plans de la famille n'est pas nécessairement surinterprétée.
Parler de "Happy End à l'américaine" nous parait-ici, stupide, voire non-sensique, à croire que les journalistes en question, terminaient d'écrire leurs critiques dans la salle, sans regarder les images ou écouter les sons. Jamais cette famille ne pourra envisager le monde de la même manière avant et après le Tsunami, d'où le sens profond du titre, l'Impossible, c'est la reconstruction après le drame, ça n'est pas que le drame se produise a contrario d'un film trés connu qui partage certaines thématiques, je veux bien sur parler de Titanic de James Cameron dans lequel le naufrage du bateau est bien l'impossible.

Euphotique

est la zone aquatique comprise entre la surface et la profondeur maximale d’un lac ou d’un océan, exposée à une lumière suffisante pour que la photosynthèse se produise.

Le film se termine par un plan fixe de la mer mouvante mais calme, mais ce cadrage n'est en rien le premier plan du film, image d'épinal de carte postale, même s'il y renvoi tout de même, c'est un plan sur une mer omniprésente dans le cadre, certes apaisée mais dont on voit trés bien que la surface abrite toujours des tâches bien plus foncées, les abysses, cet endroit où la lumière ne pénètre pas, ou alors trés difficilement.

Et la lumière fut...

On peut également évoquer l'omniprésence du Soleil dans le film, et de toutes formes de lumière pouvant renvoyer à l'illumination de l'âme. Et là c'est Rencontres du 3eme Type et ses hommes au visage brûlé par le Soleil qui vient nous faire du pied.
La force du film de Bayona est de partir du simple fait divers et sa pseudo reconstitution fidèle du drame pour en venir à parler de notre rapport à l'autre, de notre rapport au monde, et de montrer cette famille qui vivait dans une illusion, arriver à un seuil de perception des choses qu'elle ne pourra plus jamais nier.
The Impossible, c'est aussi l'impossibilité de revenir à l'état de conscience précédent, la fin d'un monde d'illusion, tel qu'on a pu le connaitre (cf le dialogue matérialiste du début "est-ce que j'ai mis l'alarme", et le dialogue totalement spirituel de la fin "comment vas-tu ? Ici, avec toi").

NB : Pour aller plus loin, à lire, les excellents papiers de Rafik Djoumi : http://www.capturemag.net/etat-critique/lordre-des-choses/ et Daniel Sébaïa : http://gizmo-inc.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=298
, largement plus documentés, fouillés et structurés que la modeste participation de votre serviteur.
GilK
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Créée

le 29 nov. 2012

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GilK

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