A contre-courant de la propagande ségrégationniste, de l’opinion collective et tout simplement de son temps, Corman signe un film extrêmement audacieux, à la mise en scène sobre aussi efficace que captivante, dans un style documentaire et réaliste.
En effet, à l’image d’un des protagonistes du film, Tom McDaniel, le journaliste, Corman :
- prétend retranscrire partialement la réalité d’un moment de l’Histoire locale, représentatif d’une époque, en relatant des faits, et rien d’autre que des faits;
- défend des valeurs humaines selon une éthique de l’autre au mépris du qu’en-dira-t-on, s’inscrivant ainsi dans une avant-garde intellectuelle;
- subit les conséquences de sa position avant-gardiste, s’attire la haine des foules et frôle, lui, le lynchage.
Mais résumer ce film à sa dimension documentaire serait très réducteur et incomplet.
Corman maîtrise très bien son sujet.
D’abord, il sait indéniablement tenir sa caméra, filmant les corps et les visages des figurants (de vrais villageois sudistes) sous tous les plans (en contre-plongée, au moyen de nombreux travellings latéraux, en gros plans, etc), regroupant tous ces individus dans une seule et même masse, à la fois écervelée, mue par le feu des passions attisé par un manipulateur et leader des foules, et féroce comme une meute lorsqu’elle se sent en danger et attaquée de l’extérieur.
Ensuite, même s’il se range du côté de la loi et de l’égalité, il donne la parole aux ségrégationnistes, il les écoute, les comprend, les remet dans leur contexte historique et sociologique. Car rappelons-le : combien d’entre nous n’auraient réagi comme d’aucuns qu’aujourd’hui ils montrent du doigt ? Le film le démontre bien : il fallait être bien fou à l’époque pour avoir un avis divergent du peuple, bien qu’à l’aune de nos valeurs actuelles cela nous semble une évidence.
Enfin, Corman traite le sujet avec subtilité, comme en témoigne la scène de la corde et de la balançoire, évitant certaines facilités dramatiques, sans non plus nous épargner la violence de tels actes hautement répressibles.
Un grand film qu'il fallait oser réaliser.