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Avec sa narration en voix off à la première personne, sa mise en scène éclectique et viscérale ainsi que son montage rythmé, The Irishman évoque à plus d'un titre les grandes œuvres de Martin Scorsese et malheureusement la comparaison ne joue pas en sa faveur.
Malgré un rythme soutenu, le film n'a ni la nervosité ni le dynamisme des Affranchis. Par conséquent, les scènes paraissent plan-plan et sans impact. Les idées de réa sont là mais Scorsese reste dans sa zone de confort. Recyclant des effets déjà à l’œuvre dans une pelté de ses précédents films ce qui, en 2019, ne suscite plus notre émerveillement. Enfin, le scénario souffre d'un cruel manque d'enjeux et de péripéties durant une bonne partie de l'intrigue ce qui n’aide pas à s’impliquer dans le récit.


Les personnages ont beau être parfaitement caractérisés, rien dans leur comportement ou leur parcours ne nous permet d'avoir une once d'empathie pour eux. De Niro alias Frank n'est qu'un homme de main exécutant les ordres sans se poser de question. Quant à Pesci alias Russ, c'est la caricature du parrain froid et unidimensionnel.
Seul Jimmy Hoffa inspire un peu de sympathie grâce à son franc parler, son tempérament de sanguin et les nobles convictions qu'il défend avec abnégation malgré ses travers et ses liens avec la mafia. Son histoire personnelle est par ailleurs très intéressante, mais le film ne fait rien pour nous y intéresser. Les dates et les évènements importants de Hoffa s'enchaînent à toute allure, au point qu'il est difficile de suivre si l’on n’est pas parfaitement attentif. Et même si on l'est, on comprend certes le protagoniste et ses enjeux personnels, mais cela nous est égal car tout est traité au même niveau. De plus, la sympathie naturelle qu'inspire le personnage se retrouve fortement desservit par la prestation de Al Pacino, cabotinant l'énervement tel Michael J dans un épisode de Fermez La.


Il en va de même pour Robert De Niro et Joe Pesci. Même si leur talent n'est plus à prouver, ils n'ont désormais plus le corps ni l'énergie pour incarner des fringants quinquagénaires et malgré le maquillage numérique, leur gestuelle et leurs voix ne trompent pas. C'est particulièrement visible pour De Niro, jamais crédible en caïd mafieux et dont le maquillage foiré nous donne plus l'impression de voir la figure numérisée de Coluche que le jeune Travis de Taxi Driver. Ainsi, difficile de sentir le temps qui passe face à ce trio de pépères semblant avoir eu 80ans toute leur vie.


Et puis... Après plus de 2h, de nouveaux enjeux viennent revitaliser le récit. Hoffa s'est mit à dos la mafia, Russ demande alors à Frank de liquider son meilleur ami car il est le seul à avoir sa pleine confiance. Auparavant de nombreuses scènes nous avaient montré la complicité et l'attachement mutuel entre les deux hommes. L'enjeu est donc de taille et Scrosese retranscrit bien le dilemme du personnage, obligé de choisir entre un des deux hommes à qui il doit tout.
Cet élément perturbateur va apporter une nouvelle dynamique au long-métrage. Alors que les précédentes exécutions étaient toujours filmées avec rapidité, ici la narration va volontairement traîner en longueur afin de nous montrer l’exécution d'Hoffa dans ses moindres détails. Des préparatifs, jusqu'au retour au bercail, en passant par une longuuuue conversation en voiture sur un sujet d’une banalité presque ubuesque. Dans cette situation, Frank n'est pas à son aise, il ne va pas tuer un énième random comme si il se rendait à l'usine. La lenteur de la séquence rend compte de la difficulté de la tâche, tout en instaurant une formidable tension.


Une fois le meurtre accomplit, les enjeux sont résolus et le film avancera sur le même rythme vers son épilogue. On pourrait croire que le scénario n’aurait alors plus aucun intérêt, or c’est cette dernière partie qui va donner du sens à tout le reste.


Une fois le meurtre accomplit, les mafieux finiront les uns après les autres en prison, y compris notre irishman. Après 20 ans derrière les barreaux, Frank n’est plus qu’un vieillard arthritique attendant de rejoindre ses amis gangsters dans l’au-delà. A partir de là, la mise en scène se fera plus austère. Finit le rythme effréné, la narration en voix off ou l’omniprésence de la musique. Place au silence de la solitude et à la lente agonie de la vieillesse.
Bien qu’éprouvant depuis toujours une fascination pour les salauds de ce monde, Scorsese en bon chrétien n’oublie jamais de leur infliger une punition à la hauteur de leurs méfaits. Convaincu qu’une vie passée à faire le mal ne peut amener qu’à une fin tragique. Il en est ainsi pour tous les malfrats secondaires du métrage dont l’apparition est systématiquement accompagnée d’un écriteau relatant leur horrible mort, le plus souvent par règlement de compte.
Or, Frank est en apparence un rescapé du karma Scorsesien. Personne n’a commandité son assassinat, il n’a jamais été trahi par les siens, n’a jamais balancé personne, n’a été inculpé que pour une fraude fiscale et a eu la chance de retrouver la liberté alors que tous ses autres compères sont morts en prison. Frank a eu la fin de carrière que tout malfrat rêverait d’avoir. Il en est pourtant terriblement malheureux.


Sa dévotion a fait de lui un tueur froid et renfermé sur son clan. Cela a créé une énorme distance avec sa famille, particulièrement avec sa fille aînée. Une distance perceptible durant tout le long-métrage et qui se fait d’autant plus sentir lorsque le personnage se retrouve totalement seul. Son ami Hoffa lui avait permit de s’affranchir de cette emprise mafieuse en lui offrant une place dans son syndicat. Leur relation était bénéfique, autant pour lui que pour sa famille qui l’appréciait beaucoup. Mais Frank avait décidé de rester fidèle à son premier mentor, ce qui lui vaudra également de perdre la confiance de sa fille.
Durant toutes ses années, il a suivit les ordres sans faire de vague, ce qui lui a évité bien des ennuis. Mais au final, il a perdu ce qui comptait réellement à ses yeux. D’où un sentiment d’immense gâchis lors de cet épilogue, autant pour le personnage que pour le spectateur. Comment ne pas se prendre d’empathie pour lui à ce moment précis ? Qui n’a jamais eu peur d’arriver à 82ans et de se rendre compte qu’on a fait les mauvais choix et qu’il est trop tard pour changer les choses ?


La fin de The Irishman s’inscrit donc parfaitement dans le propos acerbe sur la mafia que Martin Scorsese n’a cessé de dépeindre durant toute sa carrière. Sauf qu’ici, le personnage ne connaît pas une chute brutale et spectaculaire. Il paye ses fautes en s’enlisant dans une lente retraite de solitude et de culpabilité. Et par cette seule différence, le réalisateur enrichie son sujet d’un nouveau point de vue qu’il ne pouvait acquérir qu’avec l’âge.


Voilà pourquoi cette dernière partie me fait revoir l’entièreté du film à la hausse. Tout comme il était vital d’avoir vu les exactions de Michael Corleon dans les deux premiers Parrains afin d’être touché par la fin de son règne dans le troisième opus. Ici, il était nécessaire de voir la carrière de Frank Sheeran pour être sincèrement touché par sa décrépitude. Cela dit, le début du film n’est pas au niveau que les deux classiques de Francis Ford Coppola. Par conséquent, je ne peux fermer les yeux sur les innombrables problèmes de ce long-métrage, uniquement parce que je trouve son épilogue réussit.


The Irishman restera une œuvre terriblement inégale et, une fois la hype des oscars retombée, les gens vont vite s’y désintéresser. Pourtant, Scorsese a mit beaucoup trop de sa personne dans ce film pour qu’il puisse être oublié si facilement. Je vous garanti que lorsque le maître décèdera, on en reparlera.

Créée

le 18 déc. 2019

Critique lue 202 fois

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Alfred Tordu

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