The Killer
7.6
The Killer

Film de John Woo (1989)

The Killer est sans doute le film du cinéma de Hong Kong le plus connu en France. Cela dit, il n'en est pas pour autant le plus reconnu et les difficultés que connaît actuellement John Woo à Hollywood ne sont pas là pour arranger les choses. A la lumière de celles-ci, certains n'hésitent pas à retourner leur veste et à considérer The Killer au mieux comme un bon petit polar, au pire comme un exercice de style prétentieux et souvent à côté de la plaque, et finalement plutôt agaçant. Et pourtant. Pourtant je peux vous affirmer que The Killer regorge de trésors qu'on ne trouve que très rarement dans le cinéma occidental. Mais comme pour tout film asiatique, et plus particulièrement pour les films HK, il faut accepter de faire le premier pas et de s'ouvrir sur une autre culture cinématographique. Car The Killer, s'il a toutes les qualités habituelles des grands films asiatiques, en présente aussi les défauts typiques. Oui, les séquences qui jouent sur l'émotion ont parfois du mal à passer et peuvent paraître maladroites. Oui, la mafia de Hong Kong telle qu'elle est présentée peut faire sourire sur des malentendus, tant elle est différente de la mafia italienne décrite habituellement dans les films américains. Mais je vous assure que dès la seconde vision, ces quelques mauvaises surprises sont oubliées et The Killer peut alors être apprécié en tant qu'oeuvre-phare du polar des années 80, ce qu'il est assurément. Et finalement, le film de John Woo se révèle être un des films HK les plus facilement abordables pour le public occidental. Même si les scènes de fusillade sont un point essentiel du film (surtout à la fin), on est loin des canardages incessant de films du même réalisateur plus ancrés dans le cinéma de genre, comme Le Syndicat du Crime ou A Toute Epreuve. Et il ne présente pas le même côté rébarbatif que peuvent présenter les films de Tsui Hark, dû à leur saturation visuelle et leur aspect expérimental. Quant au scénario, il s'articule de manière très intelligente autour de la culpabilité de Jeff, un tueur à gages impitoyable mais qui agit suivant une vraie morale, qui a accidentellement blessé aux yeux une chanteuse dont il deviendra l'amant. Et la fin du film, magnifique mais très cruelle, rend cette culpabilité d'autant plus forte qu'elle ne pourra jamais être effacée.

Si la scénario de The Killer est tout à fait convenable, la première chose qui marque le spectateur lors de la première vision du film est bien le soin apporté par John Woo aux scènes d'action. A ma connaissance, celles-ci ne trouvent pas d'équivalent dans le cinéma occidental, sauf peut-être chez McTiernan. Mais le réalisateur de la série des Die Hard a toujours mis en scène ces séquences de manière très classique, même si elles sont d'une efficacité incontestable. Woo les abordent sous un angle totalement différent, révélateur de l'influence qu'a eu Hark sur son travail. On a souvent dit que Woo filmait les scènes d'action de ses réalisations comme des ballets. C'est très vrai, de la même manière que Hark faisait s'envoler les guerriers de Zu en 1982. Et celui-ci se réappropiera d'ailleurs sa propre conception artistique du cinéma d'action dans Time and Tide, sorti en 2000 à Hong Kong, qui oeuvre sur le terrain de Woo, à savoir le polar. Mais entretemps, c'est bien le réalisateur de The Killer qui a adapté cette nouvelle vague du cinéma HK à ce genre aux codes établis depuis longtemps. Si son film reprend certains de ces éléments classiques du polar (la trahison, la traque, le règlement de comptes...), il s'en démarque aussi par une mise en scène qui n'appartient qu'au cinéma HK et à lui-même en particulier. Le cinéaste a certes quelques références occidentales, mais celles-ci ne sont présentes dans le film que par des allusions cinéphiliques. Comparer Woo et Melville à partir du simple fait que Jeff a le même prénom que le tueur du Samouraï est un peu osé, car leurs travaux de mise en scène me semblent radicalement opposés. Là où Melville cherchait à réaliser une épure du film noir, Woo livre avec The Killer un film visuellement complexe et à l'esthétisme revendiqué. Le résultat est un long-métrage aux scènes d'action étourdissantes, alternant passages au ralenti et mouvements brusques de caméra. La longue séquence de l'église en est le paroxysme, où les gangters ne sont plus que des ombres appartenant à un ballet meurtrier qui a perdu tout lien avec quelque réalisme que ce soit. Il faut avant tout y voir un résumé de la vie de Jeff, emprisonné dans une spirale de violence qui le conduit vers un destin tragique contre lequel toute sa volonté ne peut rien.

Mais The Killer ne se résume pas à cette séquence de l'église, qui fait surtout office de passage en forme de carte de visite pour John Woo (on y retrouve d'ailleurs le climax de la colombe cher au réalisateur). Le film propose plusieurs scènes anthologiques dans l'histoire du polar, dont deux en particulier. Tout d'abord, celle de l'assassinat pendant la fête du dragon, qui touche à la perfection au niveau de la tension qu'elle installe et de sa mise en scène, remarquable. La seconde est celle de la plage, qui fait immédiatement suite à la précédente, et qui repose sur les mêmes ingrédients. Avec en plus une intensité dramatique renforcée par la présence de la petite fille. Ces deux passages témoignent de la grande maîtrise de Woo derrière la caméra, et de sa maturité cinématographique. Il ne se contente pas de recycler les grands thèmes du genre en copiant le style de Hark, comme on a bien voulu le dire, mais fait preuve d'une inventivité et d'une intégrité artistique qui n'appartiennent qu'à lui. Et même s'il s'est depuis un peu brûlé les ailes à Hollywood, on attend toujours de lui qu'il réussisse à imposer sa vision du cinéma à l'échelle mondiale. Il faudra sans doute pour cela qu'il retrouve son acteur-fétiche, Chow-Yun Fat. Car c'est bien l'assocation des deux hommes qui a permis de donner naissance à un grand personnage de cinéma, qui donne à The Killer toute sa dimension dramatique. Il est en effet difficile de ne pas remarquer la présence et le charisme peu communs de l'acteur, qui s'approprie littéralement chaque plan où son personnage intervient. Que ce soit dans les scènes d'actions, les scènes de dialogue ou de simples plans muets, l'impact de son jeu est phénoménal, créant un mythe à chaque geste, chaque expression qu'il adopte. Et c'est bien l'ensemble de ces détails qui ont permis à Chow-Yun Fat de construire un personnage d'une telle densité, en s'appuyant sur la canéra précise et les choix de mise en scène très judicieux de John Woo. La grande complexité du personnage était bien sûr de dessiner le portrait d'un tueur à visage humain, froid et chaleureux, tout en ne tombant pas dans une glorification de la violence et de l'auto-justice. Pour le premier point, Woo a pu compter sur le magnétisme de son acteur, et l'humanité de Jeff transparaît naturellement à travers des sourires et des regards qui en disent plus que n'importe quel discours de justification. Celui-ci est d'ailleurs pratiquement absent dans le film, et finalement ce sont les actes de Jeff qui parlent pour lui. Mais c'est surtout dans sa volonté de rédemption et son désir de cesser son activité de tueur que se trouve sa véritable grandeur héroïque, ce que Woo souligne par une fin tragique et presque pathétique, où la compassion et l'admiration du spectateur pour Jeff se rejoignent en un seul plan de caméra.
asano
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le 21 oct. 2012

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le 21 oct. 2012

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asano

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