Avec son sixième long-métrage, Abel Ferrara plonge le spectateur dans les entrailles d’un New York corrompu, où le crime organisé et les élites politiques se nourrissent mutuellement. Il offre une vision sombre, nihiliste et sans compromis de la jungle urbaine, portée par un magnétique Christopher Walken en gangster philosophe.
The King of New York s’articule autour de Frank White, fraîchement libéré de prison et déterminé à assoir son emprise sur la ville. Ce personnage ambigu incarne toute la complexité du récit : il finance un hôpital pour enfants tout en orchestrant des massacres (les séquences de massacre de ses rivaux qu'il commande sont légions !). Ferrara ne cherche pas à moraliser, il n'est pas juge, son personnage n'est ni un Robin des bois, ni la pire des pourritures, comme en témoigne sa tirade sur le toit de l'immeuble. A travers lui, Ferrara explore la frontière entre légitimité et illégalité, si on peut être juge et bourreau à la fois, et son duel lointain avec le vieux flic est extrêmement bien faite.
Ferrara filme New York comme un personnage à part entière, comme une bête malade, des limousines blindées des quartiers chics aux ruines industrielles où se jouent les deals. La séquence d’ouverture, où Frank traverse les rues en voiture, le visage baigné de lueurs néon, donne le ton : une esthétique à la fois glamour et pourrie. Les plans serrés sur les gratte-ciels écrasants ou les tunnels du métro (comme lors de la fusillade finale) renforcent cette impression d’étouffement.
Ferrara filme une galerie de personnages inoubliables, Frank évidemment, sa bande ( dont un survolté Laurence Fishburne) face à des flics (Victor Argo en inspecteur idéaliste et fatigué est génial) qui incarnent l’échec du système, jusqu'à une boucherie totalement absurde. Une mise en scène électrique les subliment, et donnent une atmosphère tendue, déjantée, sombre et totalement prenante. Les couleurs saturées et les contre-jours donnent une dimension onirique et trippante aux scènes de violence. La bande originale, alternant entre piano mélancolique, synthés oppressants et musique de boite, renforce l’atmosphère de cauchemar éveillé.
The King of New York est bien plus qu’un polar, c’est une plongée hypnotique dans une ville symbole d'un capitalisme sombre où pouvoir, argent et mort s’entremêlent. Walken, avec son regard halluciné, est magnétique tandis que Ferrara signe une œuvre sur la décadence, ambigu, à la fois sans espoir et d’une beauté toxique inoubliable.