En un peu plus d’une heure The Last Hillbilly trace poétiquement les contours du portrait d’un homme du Kentucky et de sa communauté. Dans la culture populaire américaine d’aujourd’hui, le terme « hillbilly » (que l’on pourrait traduire par « bouseux », « péquenauds ») est souvent utilisé pour décrire une personne peu sophistiquée, pauvre et originaire de la campagne. Peut-être même un peu arriéré. Pourtant, à l’origine, ce terme désignait simplement une personne originaire des Appalaches (sud) ou des Ozarks. La perception de ce groupe a évolué, passant de l’image du pionnier indépendant, grand homme de la frontière américaine, à celle d’un groupe fustigé pour son manque d’éducation, sa violence et son indiscipline.


C’est au cœur des montagnes du Kentucky que résident Brian Ritchie et sa famille, dont des générations ont vécu et travaillé dans les Appalaches. Il a une conscience aiguë des stéréotypes attribués aux « hillbillies » et de la façon dont il est perçu par la société. Il n’est peut-être pas, comme il le dit lui-même, le dernier hillbilly, mais il est probablement le premier que vous entendrez réfléchir au sens profond de cette étiquette.


The Last Hillbilly est le premier long métrage réalisé en collaboration par le duo français Diane Sara Bouzgarrou et Thomas Jenkoe, déjà remarqués pour leurs moyens métrages documentaires respectifs, I Remember Nothing et Memories of Gehenna. Ce film intégrait la sélection 2020 ACID de Cannes et bien que la nature impressionniste et fragmentée du film puisse quelque peu limiter ses perspectives, il séduira sans aucun doute les spectateurs réceptifs aux documentaires qui allient ces parfums de nature, d’aventure et le goût du portrait sans fard ainsi que tous ceux qui ont une certaine tendresse pour l’Americana contemporaine au grain dur. Il faut dire aussi que la représentation que le film donne de ses personnages et thématiques suscite un sentiment de proximité empathique.


La voix de Brian accompagne une bonne partie du film, sa poésie, son flow façon slam et ses réflexions sur son passé et son identité constituant le fil conducteur du récit. L’une de ses motivations est donc de remettre en question les stéréotypes liés à l’épithète « hillbilly » – l’idée que les gens comme lui sont, comme il le dit, ignorants, non éduqués, pauvres, violents, racistes, consanguins et responsables de l’ascension de Donald Trump. L’image est bloquée dans les années 30, dit-il – mais il ajoute ironiquement, « et tout cela est vrai ».


Tourné en format académique – avec des images plus petites sur un fond noir au début – le film offre une superbe mosaïque d’images de la région où vit Ritchie, longtemps remarquable pour son charbon. Le film se découpe en trois chapitres, intitulés « Under the Family Tree », « The Waste Land » et « Land of Tomorrow » – ce dernier étant censé être la signification iroquoise de « Kentucky », même si Brian note qu’aujourd’hui l’État « n’a pas vraiment d’avenir ». Et l’on comprend que si l’essor et le déclin de cette culture sont étroitement liés aux mines de charbon, les enjeux dépassent largement les simples considérations économiques.


Le film est structuré comme un assemblage d’épisodes, de moments et d’images frappantes : parmi elles, le retrait d’un veau mort d’un étang ; une digression sur le nettoyage des trophées de chasse ; deux jeunes filles, Carolina et Katie, qui tuent le temps en faisant des tours de manège sur un véhicule de ferme ; ou un jeune garçon, Austin, qui chante de façon surréaliste une chanson funèbre pour un poisson mort. Dans une scène fascinante, autour d’un feu de camp, Brian fait un discours plein d’émotion et de nostalgie à sa famille sur la façon dont les choses ont changé depuis sa jeunesse. Ce que les enfants aiment, « tous ces trucs de merde » liés le plus souvent à la technologie, ne sont que des phénomènes entièrement nouveaux qui ne dureront pas et qui emprisonnent. « Je suis le dernier enfant libre d’Amérique » se défend-il alors… Cette séquence est fabuleusement filmée par Thomas Jenkoe, les flammes se combinant à une autre source de lumière pour produire un effet fascinant. L’accompagnement musical « atmosphérique » est assuré par Jay Gambit, dont la partition est composée de sons de cloches inquiétants, de saxophones tourbillonnants, d’instruments des Appalaches et de sons miniers échantillonnés.


Alors qu’il transmet son savoir à une nouvelle génération, The Last Hillbilly est un instantané nostalgique d’un lieu dans le temps. Le tout sur une toile de fond magnifique.

GadreauJean-Luc
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 14 juin 2021

Critique lue 142 fois

2 j'aime

Critique lue 142 fois

2

D'autres avis sur The Last Hillbilly

The Last Hillbilly
Contrechamp
9

Histoire de la violence

Au cœur des Appalaches, le présent est embourbé dans un passé tenace incrusté par les vestiges rouillés d’une vie industrielle. Dans le nord du Kentucky, un siècle d’extraction du charbon a...

le 8 juin 2021

6 j'aime

The Last Hillbilly
GadreauJean-Luc
9

Une autre Amérique

En un peu plus d’une heure The Last Hillbilly trace poétiquement les contours du portrait d’un homme du Kentucky et de sa communauté. Dans la culture populaire américaine d’aujourd’hui, le terme «...

le 14 juin 2021

2 j'aime

The Last Hillbilly
Seingalt
6

Petit papa

Le hillbilly est un peu l’équivalent littéral de notre expression « crétin des Alpes ». Aujourd’hui, la figure méprisée du pèquenaud n’est plus du tout liée aux personnes vivants dans les montagnes,...

le 10 juin 2021

2 j'aime

Du même critique

Tommaso
GadreauJean-Luc
6

Tommaso : Où quand Abel tue Abel... à petit feu

Avec Tommaso, qui sort ce mercredi 8 janvier, Abel Ferrara exploite son territoire personnel pour nous proposer un drame autobiographique, celui d'un cinéaste vieillissant aux prises avec ses démons...

le 8 janv. 2020

10 j'aime

1

La Vie invisible d'Euridice Gusmão
GadreauJean-Luc
9

Deux sœurs que tout sépare

Après avoir remporté le Prix Un Certain Regard lors du dernier Festival de Cannes, La vie invisible d’Eurídice Gusmão sort maintenant ce mercredi 11 décembre. L’histoire de deux inséparables sœurs à...

le 12 déc. 2019

10 j'aime

2

Messiah
GadreauJean-Luc
8

Messiah : Jésus revient... ou pas

Messiah a débarqué le 1er janvier sur Netflix ! Thriller à fondements spirituels, cette série à suspense en 10 épisodes, à tendance clairement addictive, nous interroge sur notre comportement...

le 8 janv. 2020

9 j'aime

2