Alors que l’année 2019 vit ses derniers jours, le cinéma manquait d’une oeuvre en noir et blanc phare comparée à l’excellent cru 2018, en attestent les hymnes à l’amour et à la musique que sont Leto et Cold War, le bouleversant The Captain et le plus discret et radical Les Garçons sauvages de Bertrand Mandico sur lequel je reviendrai plus tard. Nonobstant, à la différence des films sus-cités, la mélodie de The Lighthouse est assourdissante. The Lighthouse, C’est l’histoire hallucinatoire de deux gardiens de phare, incarnés par Robert Pattinson, jeune aspirant et Willem Dafoe, vieux loup de mer, tous deux installés sur une île lointaine et mystérieuse de Nouvelle Angleterre. À la fin du XIXe siècle, ces gardiens vivent au rythme du grondement du phare, des ramages des mouettes et de la tempête qui érode tout autant l’île que les âmes qui y vivent. Un film qui fera couler beaucoup d’encres…


Alors que deux gueules crasses sortent de la brume, les caméras datant des années 1920 offrent un film en format 1:19, rendu en 35mm dans un noir et blanc sublime teinté de nuances de gris sableux. Le sound design immerge le spectateur dans l’observation du quotidien de ces deux êtres, subjugués voire hallucinés par le phare. Pets, rots, bruits de rouages, mouettes criardes, parquet grinçant, l’immersion est totale et le remugle pénètre jusque dans les fauteuils rouges de la salle de cinéma. Peu à peu, alors qu’une intrigue à la Hitchcock pointe son nez (Les Oiseaux) qui aurait pu être rebaptisé Les Mouettes, c’est finalement l’obsession du phare, de la lumière chaude qui aliénera les deux protagonistes, manipulateurs, fabulateurs et violents. Au fil des minutes, les masques tombent à mesure que l’alcool coule à flot et le film s’inscrit dans la lignée des far west, l’histoire de deux cow-boys que tout oppose, menés par la soif de l’or lointaine et aliénante. La lumière du phare, métaphore solaire du mythe d’Icare et de l’or américain, ardente et obsédante brûle les ailes et consume les esprits de chacun jusqu’à pénétrer dans l’antre de la folie.


Pourtant, dans le vertige de cette ivresse, de cette crasse environnante déstabilisante au possible, Robbert Eggers trouble son propos, le noyant dans une démonstration assumée mais dérangeante du « je t’en fou pleins les yeux, regarde bien ! » avec une artificialisation de certaines scènes qui n’en demandaient pas tant. À titre d’exemple, à quoi bon maquiller de suie Robert Pattinson dans sa montée vers les cieux ? Le réalisateur enlumine son film alors qu’il aurait peut-être gagné à pousser les métaphores comme a pu le faire Mandico avec Les Garçons sauvages. S’il y a bien un défaut à notifier, c’est celui-ci parce que, que ce soit les acteurs, les images, le noir et blanc teinté de nuances de gris, le sound design, les métaphores bibliques et mythologiques, le sublime de la lumière aveuglante et surtout le caractère dérangeant de l’oeuvre grâce à son immersion totale dans cette antre de la folie font qu’une fois rentré à la maison, la literie est devenu un bateau ivre submergé par la crasse et l’eau salée qui ronge les peaux mortes de l’esprit.


Mes autres critiques et mon livre à retrouver sur : https://lestylodetoto.wordpress.com/2019/12/10/the-lighthouse-livresse-du-far/

thomaspouteau
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le 10 déc. 2019

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