Injustement boudé pour le public avec “The Witch”, Robert Eggers revient sur le thème d’un drame psychologique. L’accréditation à la catégorie épouvante-horreur pourrait en dérouter plus d’un, alors que la marque de fabrique de l’ancien chef décorateur de théâtre commence à s’inscrire dans le film d'auteur. Il faut tenter l’expérience, car elle se veut exclusivement sensorielle. Et pour ce faire, rien de plus souhaitable d’une salle de cinéma, nous confinant au fond de notre siège, à l’image de deux marins, isolé sur un rocher atypique. Le cinéaste porte un gros coup sur sa deuxième réalisation, grâce à la maîtrise du décor et de la photographie. Il emprunte énormément au style d’une époque reculée. Nous nous y croyons, nous sommes spirituellement transportés sur une île de la tentation, sans mauvais jeu de mots. De l’image choquante au voyage hypnotique d’un duo efficace, Eggers finit par pêcher la perle rare afin de nous glisser dans son filet qu’on ne verra pas venir.


Le mode d’emploi suggère donc des protagonistes limités en nombre, mais de qualité. Willem Dafoe, que l’on ne présente plus, reste aussi solide dans un jeu de folie, malgré une certaine retenue dans l’expression faciale et c’est un nouvel atout pour cet homme. Quant à Robert Pattinson, il est le jeunot de service dans un récit qui étire, tord et mâchouille son mystère en long et en large. Cependant, il faut lui reconnaître une ascension évidente depuis quelques années, une fois qu’il a pu donner de nouvelles couleurs à son épiderme. Ironiquement, le film est en noir et blanc, renforçant ainsi les ombres et les expressions fermées des acteurs. De même, le cadre en presque 1:1 (1.19:1 pour être exact) nous renvoie à la transition du cinéma muet et parlant. On joue alors sur ces détails esthétiques et techniques afin d’alimenter le ton de folie que boivent jour après jour ces matelots d’infortune. En serrant le cadre et en limitant les distractions de couleurs vivent, la majorité du travail est accomplie.


Le film n’hésite donc pas à user d’influences pour renouveler cette spirale hallucinatoire, car nous finissons par perdre le fil, jusqu’à ce qu’un éclairci dévoile ce qu’il est nécessaire de comprendre au sens le plus large possible. À aucun moment, l’œuvre est franche avec le spectateur, car il cherche à lui insuffler des émotions contradictoires, le laissant ainsi dans une position délicate sur une fine frontière entre le réel et l’imaginaire. Et cela fonctionne si bien grâce aux décors et une photographie impeccable, ce n’est pas à négliger. Le fantastique prend ainsi place avec une brutalité déconcertante. Ajoutons à cela des dialogues, voire des monologues tantôt crus, inspiré d’un vocabulaire authentique, tantôt Shakespearien, armant ainsi les personnages qui peuvent confronter leur passé ou leur mensonge...


Si l’on devait se souvenir d’un exercice récent qui a eu l’audace de nous embrouiller à ce point, il ne fallait pas avoir loupé le magnifique “Under The Silver Lake”, car les réponses s'y trouvent étrangement dans l’élément minéral ou bien il peut nous orienter, afin de mieux catalyser notre réflexion, qui explose aussi vite que la tête de Pattinson pour sa dernière interprétation. “The Lighthouse” ne fait donc pas exception et nous malmène d’un geste symbolique, car le film n’est qu'une métaphore dans son ensemble. Le phare dont il est question renvoie à un conflit sexuel fort, tout comme les présages ou les mythes de l’océan renvoient à des pulsions toutes aussi primitives. Le tour de force est donc réussi, l’ambiance gagne et elle ne laissera que des miettes, ou mouettes, derrière elle.

Cinememories
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le 17 janv. 2020

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