L'adaptation cinématographique des pérégrinations de l'explorateur Percival Fawcett au cœur de l'enfer amazonien est, a priori, une nouvelle occasion de percer les mystères du plus grand sanctuaire végétal et animal au monde. Car de mystères, la forêt amazonienne en regorge tout autant que les plus profondes des profondeurs des océans. Sous le limon, l'El Dorado légendaire qui poussera des centaines de conquistadors à leur perte.
Tout naturellement, Percy se verra irrémédiablement, et contre toute raison, attiré par l'appel de la jungle. De petits signes en petites intuitions, il n'aura de cesse de pousser un peu plus loin chacune de ses explorations, toujours persuadé de se rapprocher à chaque fois un peu plus de sa Cité de Z. Comme un plongeur en apnée tente d'atteindre des profondeurs jamais vues par un humain.


Pour nous conduire dans la quête de Fawcett, le réalisateur James Gray choisit la voie du biopic sobre, linéaire et factuel. En somme, vous n'apprendrez pas beaucoup plus sur la vie du personnage que ce que vous apprendra la page Wikipédia dédiée. On navigue en terrain cinématographique connu, comme une chanson qui répète le sempiternel couplet-refrain-couplet, ici transposé en Angleterre-Amazonie-Angleterre. A vouloir suivre une temporalité linéaire et caser 15 années d'exploration et de retour à la maison en un seul film, Gray use et abuse d'ellipses dont la pertinence est discutable. Ainsi, lors de sa première expédition, de longs mois infernaux sur le fleuve Amazone se traduisent à l'écran par quelques minutes. Des personnages deviennent fous, malades ou meurent alors qu'ils étaient en pleine forme sur le plan précédent. Les vivres, nerf de la guerre contre l'hostilité de ce monde perdu, s'amenuisent par l'explication orale des personnages. Une petite scène de bagarre pour la dernière datte n'aura pour effet que de sanctifier Fawcett, implacable de raison quand tout autour de lui incite à la folie. Inébranlable, il avance contre toute attente, contre tout doute. C'est peut-être là l'élément le plus perturbant de cette biographie : Percy Fawcett n'a-t-il jamais douté ? Ne s'est-il jamais retrouvé aux portes de la déraison, comme nombre de ses compagnons de voyage ? Alors que Coppola (Apocalypse Now) et Herzog (Aguirre, Fitzcaraldo) prennent le temps d'immiscer lentement, insidieusement, les contours de la folie et du doute engendrés par la jungle, Gray semble confondre expédition et expéditif.


Lors de sa deuxième expédition et son premier contact avec une tribu, on voit Fawcett disparaître dans les ténèbres de la jungle ; ses compagnons, apeurés, restent cachés de l'autre côté du fleuve. On se dit alors que l'on va passer de l'autre côté du miroir, quitter notre monde factuel pour une explosion culturelle tous azimuts. Car l'Amazonie est peut-être ce qui se rapproche le plus de l'odyssée d'Alice et son pays merveilleux. D'oiseaux multicolores aux comportements improbables, de plantes étrangleuses ou carnivores, ou venimeuses, ou les 3 en même temps, on ne verra quasiment rien et l'on ne s'arrêtera pas pour s'émerveiller ou s'inquiéter. La jungle hostile semble vide de toute âme, exceptée l'âme humaine, omniprésente à chaque carrefour et obnubilant Fawcett.


Retenons alors cet élément et faisons abstraction de l'absence de tout le reste. Admettons donc que Gray ne voulait pas faire un film contemplatif, ni introspectif comme ses prédécesseurs Coppola ou Malick. On notera que Gray évite alors intelligemment le piège post-colonialiste en insufflant à Fawcett la compassion. Il évite également de tourner sa quête de la Mystérieuse Cité d'Or en une fable fictionnelle à la Indiana Jones ou pire, à la Benjamin Gates ou Lara Croft.
Malheureusement, même là, Gray ne peut s'empêcher d'expédier les excursions de son héros les unes après les autres. Si les voyages allers de Fawcett suggèrent une pénibilité (bien difficile à ressentir dans toutes ces ellipses), le voyage retour est, lui, systématiquement zappé. Téléportation immédiate en Angleterre, sourires et réunions familiales plus ou moins heureuses et cohérentes (le fils qui oscille entre frustration du père absent puis amour filial infaillible). Les images de mort ne franchissent pas l'océan et restent à quai au Brésil. Pas de place pour la misère dans le luxe permanent de la civilisation. Pas de remise en question de Fawcett, pas de doute, bref il ne semble ramener dans ses bagages aucune expérience humaine.
D'une manière générale, Fawcett ressemble à un handicapé émotionnel. Comme un bon soldat, il traverse avec la même aisance, la jungle et les tranchées de la première guerre mondiale. Certes il est un mari et père aimant, les innombrables flashbacks nous le martèleront, mais par le truchement de la téléportation, il n'en sera jamais perturbé outre mesure. Là encore, la linéarité est de mise.


The Lost City of Z ne tient donc pas toutes ses promesses. Si le surnaturel n'avait pas sa place ici, et si Gray l'évite intelligemment, Aronofski avait au moins le mérite, avec The Fountain, de rendre la quête de l'El Dorado un mystère intemporel, où chaque nouvelle étape enfonçait un peu plus son personnage dans une fusion sans retour avec le monde végétal. Pour l'aspect spirituel, voire philosophique, d'un tel chamboulement culturel, on se contentera donc des films déjà existants. Mais pour ce qui est du parcours factuel d'un point A à un point Y (le point Z n'étant a priori pas atteint), The Lost City of Z fera bien l'affaire.

49Days
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le 10 sept. 2017

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Fortynine Days

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