Le cinéma de James Gray est historiquement associé à New York. Filmant la Big Apple comme personne, il était très difficile d'imaginer le cinéaste américain ailleurs que dans sa ville fétiche, et encore moins dans ce qui ressemblait à un film d'aventure navigant entre l'Angleterre et l'Amazonie. En effet, The Lost City of Z s’inspire de l’histoire vraie de l’explorateur Percy Fawcett, rendu célèbre pour sa quête inexorable d’une cité antique abandonnée en Bolivie – projet en gestation depuis plusieurs années, c’est après de nombreux changements de casting et une conséquente réduction de son budget que le nouveau James Gray sort enfin dans nos salles. Un peu plus de trois ans après The Immigrant, est-ce là l’œuvre du renouveau ?


Derrière cette bannière du film d’aventure, The Lost City of Z n’en respecte pourtant aucun code. Des péripéties il n’a que faire, car ici on manie l’art de l’ellipse. Les découvertes sont amères, les paysages ne s’aperçoivent qu’entre les feuilles d’un arbre, les Indiana Jones sont des pères absents, aux intentions ambiguës, aux obsessions à la limite de la folie – sous son apparence de long-métrage très académique, le film de Gray est un périple mentale à la limite du songe, qui évoque autant Herzog que Weerasethakul, et dont le cadre classique cache en réalité une multitude de subtilités : terne sans être austère, large sans donner d’envergure inutile, composé sans être robotique.
C’est cette notion rêveuse qui parcourt finalement l’imagerie de The Lost City of Z. Même si rien de tout cela ne relève du fantasme, la rythmique, les imageries et les évolutions scénaristiques que Gray proposent semblent toutes droit sorties des errements d’une nuit agitée. Chaque dialogue semble prononcé à mi-voix, chaque menace semble absurde, chaque enchantement inatteignable. Les sons, comme les distances, se croisent et se perdent ; ils sont ouatés, feutrés, comme si les feuilles de cette jungle – ou les tapisseries de ces châteaux – ne faisaient qu’étouffer leurs portées. The Lost City of Z, au fond, est un road movie claustrophobe.
C’est d’ailleurs cette notion même du film itinérant qui tendrait à être remise en cause : c’est finalement une histoire d’allers et de retours, chaque tentative avortée posant les enjeux de cette quête insatiable, et traçant également l'odyssée de cette structure en actes évolutifs. De l’admiration à l’incompréhension, de l’incompréhension à la résolution ; The Lost City of Z raconte des sentiments, des regards que l’on porte – sur soi, ou sur les autres.


Œuvre sur le sacrifice, l’inconscience, l’obsession, le statut social, la famille et le sens que l’on donne à une vie, The Lost City of Z est finalement bien plus que l’étiquette que l’on voudrait lui donner – et c’est là sa caractéristique la plus importante – film d’aventure sans aventure, film violent sans violence, film de rédemption sans rédemption, le dernier James Gray est en premier lieu un tour de force d’une maestria somptueuse, d’une intelligence remarquable, d’un dévouement à son dogme absolument admirable. Gray nous donne sa vision du cinéma, celle d’un art où les images physiques font corps avec celles de l’esprit. Errance à l’ambiance morne et mélancolique, toute droit sortie d’un téléfilm des années 90, flirtant sans honte avec l’abstrait et le fantastique, The Lost City of Z est une cathédrale de mise en scène où les intentions comme les moyens ne forment qu’un seul trait. Brillant de A à Z.

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le 20 mars 2017

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Vivienn

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