Un film d'aventure à l'ambiance maîtrisée, bien qu'un chouïa austère

Parmi les derniers tournages tumultueux que le cinéma ait connus, il faudra désormais compter sur The Lost City of Z. Un projet annoncé depuis 2009 par le réalisateur James Gray (La nuit nous appartient, Two Lovers, The Immigrant) qui a mis pas loin de huit ans à se concrétiser sur grand écran. Une très longue gestation qui s’explique par une production assez complexe à mettre en place (à cause de l’organisation et de l’écriture du scénario, difficiles à développer), des changements d’acteurs constants (Brad Pitt devait être en tête d’affiche avant d’être remplacé par Benedict Cumberbatch puis par Charlie Hunnam) et, surtout, un périlleux tournage de deux ans en pleine jungle colombienne qui a été le théâtre de bon nombre d’incidents : montée soudaine des eaux, morsure de serpent venimeux, présence de crocodiles et l’acteur principal blessé au tympan par un insecte. Et sans oublier l’envie du réalisateur de tourner en 35 mm, impliquant une contrainte supplémentaire. Celle de devoir envoyer des pellicules à des milliers de kilomètres du lieu de tournage pour finalement visionner les rushs une semaine plus tard. Un véritable parcours du combattant qui voit enfin son accomplissement, à défaut d’avoir attiré les foules (seulement plus de 12 millions de dollars au box-office mondial). Une douche froide, qui plus est, pas méritée pour autant.


Attention cependant ! Avant de commencer la critique, il est tout de même bon de vous prévenir à quoi vous devez vous attendre avec The Lost City of Z. En effet, bien que le long-métrage porte l’étiquette de film d’aventure, il n’est pas pour autant un divertissement d’action. Ici, vous n’aurez nullement droit à des poursuites, fusillades, corps-à-corps et séquences flirtant avec le fantastique à l’instar d’Indiana Jones, de Tomb Raider et consorts. Mais plutôt à une histoire vraie. Celle de l’explorateur britannique Percy Fawcett qui, persuadé de découvrir une cité perdue en pleine Amazonie, lança en 1925 une expédition qui sera soldée par sa mystérieuse disparition. Il n’est donc pas question d’artefacts ni de trésors enfouis dans ce long-métrage, mais plutôt de l’existence d’un homme, qui se retrouve donc au cœur même de ce récit. De son envie de découverte et de vouloir redorer le blason de son nom, qui va finalement se présenter chez lui comme une obsession maladive et un danger pour sa place dans la société des explorateurs. Même pour son image et sa famille.


Vous l’aurez compris, du mot « aventure », le réalisateur et scénariste James Gray en tire deux déclinaisons bien distinctes. Premièrement, l’aventure dans le sens découverte. Celle d’une région du globe méconnue (pour l’époque) et hostile, dans laquelle le personnage principal va mettre à jour les richesses d’un peuple jusque-là considéré comme sauvage et non civilisé, menacé par des explorateurs beaucoup trop irrespectueux. L’occasion également de voyager dans un décor naturel (sublimé par le tournage en pleine jungle) et d’y rencontrer toute sa beauté hypnotisante. Toute sa dangerosité si aguicheuse (les prédateurs, le climat, certaines tribus locales…). Enfin, l’aventure intérieure. Celle d’un homme qui devra choisir sans cesse entre sa soif d’exploration et son amour pour sa famille, devant pour le coup faire face à des événements inévitables (l’abandon d’une expédition, l’engagement militaire pour la Première Guerre mondiale), aux sacrifices induits par son périple (s’éloigner de ses proches, ne pas pouvoir assister à la naissance et à l’éducation de ses enfants) et aux critiques de ses pairs, mettant en doute ses théories (la fameuse cité qu’il cherche désespérément existe-t-elle vraiment ?). Ainsi se présente à nous The Lost City of Z : un film d’aventure à l’écriture extrêmement poussée qui risque fort de vous captiver le temps de son visionnage !


Et si James Gray use comme il faut de ses talents de réalisateur, qui ne sont décidément plus à démontrer (sens de l’image, mise en scène maîtrisée de bout en bout, direction d’acteurs par ailleurs impeccables, le fait d’avoir surmonté un tournage fort difficile…), The Lost City of Z possède un atout qui saura lui prodiguer le statut de film d’auteur : son ambiance. Celle-ci, par le biais de la somptueuse photographie de Darius Khondji (Se7en, les films de Jean-Pierre Jeunet de Delicatessen à Alien, la Résurrection…), de la musique enivrante de Christopher Spelman (collaborateur attitré du cinéaste) et du tournage en 35 mm en pleine jungle, offre au film toute prestance. Oscillant avec élégance entre magie et mysticisme ténébreux. Entre instants solaires et situations pesantes et tendues au possible. Reflétant à merveille la balance entre beauté et dangerosité du décor principal, du combat intérieur du héros. Une atmosphère envoûtante qui donne à The Lost City of Z tout son cachet. Mais également un revers de la médaille qui pourrait expliquer le peu d’adorateurs à son compteur. Et pour cause, avec une ambiance aussi lente et austère, sans oublier l’absence de péripétie titillant l’adrénaline (malgré une scène de bataille en pleine guerre et quelques rencontres risquées avec les indigènes), l’ensemble risque de se montrer un brin longuet, voire ennuyeux pour la majorité des spectateurs. Il est donc conseillé – et j’en parle pour avoir vécu ça pendant le visionnage – d’être totalement réveillé et d’avoir la tête pour un tel long-métrage afin de ne pas s’en détacher. D’en apprécier chaque instant.


Véritable œuvre d’art d’un réalisateur qui a su, depuis ses débuts, se diversifier en abordant toujours la même thématique (le déchirement d’un protagoniste pour deux choix s’offrant à lui), The Lost City of Z est un film à voir absolument pour le travail fait autour. Pour voir à quel point l’équipe du film s’est démenée corps et âmes pour aboutir à un tel résultat, bien que celui-ci soit un chouïa hermétique à un plus large public. Et surtout, ce long-métrage est l’occasion de découvrir un autre sens du mot « aventure », jusque-là représenté par des films d’action non avares en sensations fortes.

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