Jusqu’à aujourd’hui, James Gray nous a habitués à un cinéma citadin. Passionné par New York, et plus précisément l’arrondissement de Brooklyn, il l’a magnifié dans son fabuleux triptyque sur le crime (composé de Little Odessa, The Yards et We Own the Night) et avait continué à en faire le centre de son récit dans son puissant drame Two Lovers. Même dans son The Immigrant, il venait aborder la ville avec un regard étranger la symbolisant comme le cœur de son cinéma. Avec The Lost City of Z, il a pour ambition de sortir de sa zone de confort pour se mettre dans la même position que son personnage principal. Un explorateur en quête de territoires nouveaux. Pour la première fois de sa carrière, le cinéaste s’intéresse à des faits réels plutôt qu’à un scénario original et il quitte le confort de New York pour l’épaisseur ardente de la jungle. Beaucoup pourraient y voir une envie de marcher dans les pas de ses prestigieux confrères. On pense à Herzog et son Aguirre, la colère de Dieu mais aussi au Lawrence of Arabia de David Lean, des œuvres aux qualités reconnues. James Gray n’a jamais caché ses influences mais il possède sa propre voix et vient apporter ici sa pierre à ce fabuleux édifice.


L’essence même du cinéma de Gray vient d’une envie de reconnaissance, d’être considéré comme l’égal de ses pairs et plus encore de prospérer au-delà des entraves de la famille. Tout ces personnages jusque-là, que ce soit dans le crime, dans l’amour ou dans les fausses promesses d’un monde meilleur; cherchent à s’extirper de ce que leurs noms ou leurs origines représentent pour prouver leur valeur. Avec le temps, c’est une obsession qui est presque devenue méta pour le cinéaste qui a toujours eu du mal à trouver le succès auprès des critiques souvent injustes à son égard. Même The Immigrant, son film le moins exaltant et le plus statique conserve de beaux arguments de cinéma. Pourtant, depuis toujours il eu aussi beaucoup de mal à trouver une estime auprès du public, ses films étant souvent des échecs commerciaux cuisants. Entre Percy Fawcett, le héros de The Lost City of Z, et le cinéaste se tisse donc un lien étrange et saisissant, tellement les ambitions des deux hommes coïncident. Tirant son récit d’un fait réel, Gray arrive néanmoins à en faire son oeuvre la plus intime, malgré les dimensions épiques du propos, et aussi celle qui pour lui est la plus personnelle. Retranscrivant avec ferveur le parcours de ses personnages, il ne part pas comme eux en quête de mystification ou de cités d’or, ce que Gray cherche c’est l’humain. Malgré les mystères enivrants de l’intrigue, qui vire par moments dans l’onirisme, le cinéaste offre la prouesse formidable de trouver la sensibilité dans cette quête de gloire et de rédemption.


Avec l’aide d’acteurs impliqués et talentueux, il arrive à donner vie à ses incarnations romancées de personnes ayant existé. Ils parviennent tous à les rendre terriblement authentiques et touchants. Charlie Hunnam irradie d’intensité et de charisme soutenu à merveille par la sensibilité déchirante de Sienna Miller qui prouve encore être une des actrices la plus sous-estimées de sa génération. Cependant, on retiendra surtout la transformation éblouissante de Robert Pattinson, méconnaissable et d’une justesse sidérante. Un acteur tout bonnement phénoménal. The Lost City of Z ne se repose pourtant pas sur ses acteurs, quand bien même ceux-ci valent à eux seuls le détour, mais le film impressionne aussi par la finesse et la densité de son écriture. Plus que de parler d’hommes en quête d’un eldorado impossible et d’une gloire illusoire, c’est une oeuvre qui trouve souvent les mots justes pour parler du monde tel qu’on le connaît aujourd’hui. Tel qu’il a commencé à être façonné à l’époque. Fawcett nous est présenté comme un personnage humble, rêvant d’égalité et d’un monde meilleur à offrir à ses enfants. Sans jamais tomber dans le pathos ou la manichéisme, Fawcett étant par moments injuste et égoïste, Gray nous montre le parcours d’un homme à travers ses rêves, ses échecs et les préjugés de son temps. De ce que le personnage a hérité de son père et de ce qu’il lègue à son fils, Gray y trouve une façon poétique et tragique de parler de transmission, de paternité et de paix. Au final, le film nous raconte l’histoire la plus simple qu’il soit, un homme qui cherche la paix intérieure pour la trouver dans l’amour de son fils.


De par son sujet, James Gray aurait pu facilement tomber dans la recherche froide de la prouesse technique mais décide au contraire de rester proche de l’humain. Avec sa mise en scène faussement classique, il pioche dans des mécaniques traditionnelles du cinéma pour en tirer une oeuvre aussi moderne qu’intemporelle. La photographie de Darius Khondji apporte un grain vieillit à l’image, accentué par le traitement très saturé des couleurs et de la lumière. On a parfois du mal à dater le film, qui pourrait bien être un film d’époque retrouvé que maintenant. Un tel travail sur l’image en est remarquable, chose très courante dans le cinéma de Gray qui brouille toujours la ligne du temps avec son imagerie résolument rétro pour un langage cinématographique néanmoins très moderne. Sauf qu’avec The Lost City of Z, ce rendu n’avait jamais paru aussi authentique et formidable. Couplé avec un montage d’une rare intelligence, qui dans son découpage entre deux scènes arrive à faire ressortir des pépites d’émotivité comme lorsque le héros manque d’être frappé par une flèche et que l’on nous montre en même temps la naissance de son premier enfant. Le film jongle souvent avec des parallèles de ce genre et symbolise avec brio le poids du temps et des regrets. Avec son rythme lent et posé, Gray parvient toujours à éviter avec brio l’ennui car il insuffle à ses scènes un vrai souffle épique. Au détour d’une rencontre avec une tribu cannibale, d’une scène de bataille ou de chasse, il offre une mise en scène ample et majestueuse qui donne une dimension homérique à ses séquences et à son oeuvre dans sa globalité.


Avec The Lost City of Z, James Gray signe une épopée tragique tout aussi épique qu’intime dans la psyché humaine. Le fil étriqué de la vie prend ici la forme tortueuse du cours d’un fleuve inexploré, où entre les éternels recommencements, les attentes et les mirages se révèle à nous un voyage métaphysique bouleversant. Par la perfection de son casting, la finesse de son écriture et la majesté de sa réalisation, Gray signe un chef d’oeuvre magnifique et mémorable qui touche les sentiments humains comme un film ne l’avait pas fait depuis longtemps. Trouvant dans ce récit son incarnation la plus personnelle, il transcende son cinéma pour donner naissance à ce qui pourrait bien être un des films les plus importants du 21ème siècle, et que même si il prend place dans une autre époque il s’impose comme une très belle réflexion sur son temps. Une oeuvre universelle, intemporelle, et un classique instantané.


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Frédéric_Perrinot
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le 16 mars 2017

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