Au travers des tranchées qui se présentent à lui lors de la guerre, ou sur un cheval lors d’une course de chasse, Percival Fawcett avance coûte que coûte malgré les obstacles qui se trouvent sur son chemin. Avancer, s’ouvrir les voies de la renommée, laver l’affront de son nom sont des motifs qui tapissent son esprit. Dès les premières minutes, alors qu’il discute avec sa femme, il pense à son rang et à la possibilité d’une promulgation. C’est alors qu’on lui demande de cartographier la lisière de la Bolivie et du Brésil au côté d’un second nommé Costin, en Amazonie, dans cette faune foisonnante, zone encore inconnue à l’époque du début du XXème siècle. Sauf que de cette simple mission d’exploration qui demandera du souffle et de la volonté, va voir naitre une obsession en lui : celle de découvrir les prémisses d’une société, les traces d’une civilisation dont l’Occident n’a pas encore conscience.


C’est alors, que sans que l’on y prenne garde, le réalisateur suivra le même pas que son protagoniste principal : pendant que Fawcett s’intéressera non plus aux frontières mais à la découverte de cette communauté « ancestrale », James Gray se focalisera sur l’envie maladive de son personnage au lieu de nous offrir le film d’aventure épique comme pouvait le faire Werner Herzog avec Aguirre la colère de Dieu ou Fitzcarraldo. Alors que l’histoire se déroule sur une vingtaine d’années, The Lost City of Z est un film qui a parfois du mal à nous faire ressentir le poids des années sur l’investissement physique et psychologique de Percival. Mais au regard du film, le temps est une donnée subsidiaire qui est seulement là pour entretenir la flamme.


James Gray préfère se concentrer non pas sur le poids du temps mais plus sur le poids des sacrifices d’un homme tiraillé entre l’amour qu’il a pour sa femme et ses enfants, et cette sensation de vide qui l’oblige à être fasciné et à exorciser l’Amazonie. Entre ses différentes épopées dans la jungle, ses moments de vie en famille ou sa dévotion au combat durant la guerre, The Lost City of Z se déroule chronologiquement et nous montre les nombreuses décisions que Fawcett a dû prendre malgré lui : que cela soit celle de repartir et de laisser sa femme s’occuper de nouveau du foyer familial, laisser Murray quitter le groupe pendant l’expédition, ou défendre ses troupes durant la guerre.


Au fil des minutes, James Gray écrit les différentes facettes de Percival Fawcett, loin du Conquistador arrogant mais en faisant de lui un homme humaniste, cultivé, droit et respectueux de l’Homme au sens le plus large (rapport à la politique colonialiste et destructrice) et à l’obsession asphyxiante grandissante quitte à ce que cela le gangrène de l’intérieur : de ce fait, James Gray parle plus de l’explorateur que de l’exploration en elle-même.


Qu’on se le dise, même si le cinéaste arrive à immiscer de la tension et un vent d’aventure à son œuvre, sa réalisation de velours sied parfaitement à cette introspection. L’obsession chez James Gray n’est jamais exacerbée ni exubérante : loin du dolorisme qui immerge dans le cinéma hollywoodien moderne, l’américain, lui, garde le cap d’un cinéma dont le classicisme enchante à chaque instant. En rapport avec son film, la réalisation de The Lost City of Z est intemporelle, hors du temps : une contrée esthétique sans gimmick mais dont les idées fleurissent l’idéal qu’elle entretient.


Aussi visible qu’invisible, douce que dynamique, la mise en scène de James Gray alimente l’immensité du cadre sud-américain, cet enfer que Fawcett apprend à aimer, tout en le rapetissant comme une toile d’araignée qui se refermerait sur ses victimes. The Lost City of Z regorge de ces moments de cinémas uniques comme cette arrivée dans un village cannibale ou ce dialogue avec une voyante russe dont la mise en scène renvoie Fawcett à sa propre marotte. Au-delà de l’humilité presque pudique habituelle du réalisateur, c’est la justesse de l’art qu’est le cinéma qui s’offre à nous. Il est rare de voir des films de cet acabit respirer autant la sérénité, la candeur, l’élégance d’antan.


Le souffle frénétique de l’aventure parfois tétanisante avec ses séquences de fleuves proche de celle d’Apocalypse Now, laisser place à l’aisance d’un cinéaste cartographiant de façon échelonnée une vie faite de doute malgré les médailles reçues : où le véritable enfer ne se situe pas forcément dans l’exaltation mortifère d’une jungle hostile mais dans la simplicité d’un foyer familial aimant mais engourdi. The Lost City of Z est tout le contraire d’un Live by Night de Ben Affleck : alors que ce dernier se veut grand alors qu’il est tout petit voire misérable, le récit de James Gray passe par le bout de la lorgnette pour faire ressortir de ce qu’il y a de plus grand dans son cinéma.


D’ailleurs, alors qu’il s’était avec The Immigrant engouffré dans une sorte de confort, James Gray retrouve la force émotionnelle d’un La Nuit Nous Appartient ou Two Lovers : chaque scène fait mouche comme toute celles qui voient les époux se séparer, ou celles qui montrent le père et le fils se battre comme s’étreindre pour au final finir les yeux perdus dans la nuit noire et les mains au ciel touchant enfin un monde qui aura sans doute raison de leurs ambitions, dans un montage qui n’est pas sans rappeler Terrence Malick. Le contexte politique mis en avant, interrogation sur l’humanité et l’égalité d’un monde face à la nature, The Lost City of Z est un film sur la foi, celle en soi-même et en sa destinée, celle qui voit quelque chose de plus importante que nous.


Cette cité perdue, c’est pour Fawcett une possibilité de découvrir un autre monde, une dimension mentale presque divine. Mais alors qu’un film comme Silence de Scorsese a du mal à faire intégrer l’empathie dans sa profession de foi, le chemin de croix imaginé dans The Lost City of Z est une merveille d’écriture et de direction d’acteur. Difficile de dire si The Lost of Z est un grand film mais ce qui est sûr c’est que James Gray est un grand réalisateur. Peut être l’un des plus grands.

Velvetman
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le 19 mars 2017

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Velvetman

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