L’opacité. Cette qualité qui donne au cinéma une richesse et un pouvoir incomparables. Les films les plus passionnants sont souvent ceux qui ne nous disent pas tout dans leurs images. Les films qui se dérobent, se déguisent, dérivent et ne martèlent pas un sens, ou pire un message. Bref, ceux qui cherchent à nouer un dialogue sans nous adresser d’indications criardes. On dirait comme ça que ce sont des "films chiants" (la pire injure ultime qui soit aujourd'hui) mais l’ennui est un critère paresseux. Si un film est chiant, à savoir qu’on dirait tout de suite que c’est ce qui le (dis)qualifie, peut-être doit-on s’interroger : ne serait-ce pas plutôt qu’il essaie de travailler cet ennui et de nous dire quelque chose à travers lui ? Peut-être. Si un film est authentiquement chiant, c’est sans doute qu’il a échoué dans son dispositif. Enfin, en règle générale. Chaque film peut construire sa propre exception.

Et donc "The Master" est un film opaque. C’est un film brillant, singulier et parfois chiant, construit la plupart du temps sur de longues séquences. Un film narrant le parcours d’un homme paumé, d’un ancien soldat ivrogne, qui dans les années 50 croise la route d’un gourou adepte de l’hypnose et des "trous temporels". Un film parfaitement réfléchi et qui nous laisse à son terme vaguement cotonneux, un peu confus.

Je dois dire sincèrement que je ne saurais trancher sur "The Master". Je sais que je me suis parfois ennuyé (pas un critère valable, donc) et tout autant que j’ai été hypnotisé, subjugué par certaines séquences. Je sais que la mise en scène de Paul Thomas Anderson m’a paru d’une grande maîtrise. Je sais aussi avoir été gêné par une certaine complaisance dans son écriture scénaristique, laissant le film flotter et durer en étant toujours sûr de son génie. A vrai dire, c’était déjà le cas de son précédent "There Will Be Blood", mais il était alors porté par un lyrisme sec et délirant qui ici fait défaut.

En définitive, je sais surtout que j’ai goûté son opacité. Qu’est-ce que le film cherche à nous dire, à nous raconter ? C’est ce qu’il y a de plus intéressant. Et ce n’est pas une question de complexité au sens où des films comme "Inception" cherchent à nous duper, faisant croire de leur géniale opacité en multipliant les mécaniques scénaristiques embrouillées. Non, il s’agit plutôt de s’interroger simplement : pour moi, que signifie cette histoire dont j’ai assisté au déroulement ? Que symbolise-t-elle ? Pourquoi ai-je été tellement troublé par cette séquence ?

Des séquences justement, il en y a plusieurs qui restent en tête. De celles qui dégagent une grande puissance sous une apparente simplicité. Un champ/contrechamp incroyablement intense où Joaquin Phoenix (le paumé) se fait interroger/initier par Philip Seymour Hoffman (le gourou). Un plan-séquence à l'étrangeté diffuse où le gourou entonne une chanson entouré d'un public qui se dénude peu à peu. Une poésie de l'ellipse où le gourou et le paumé sillonnent les dunes à moto, l'un se lançant dans une course folle. Et si tous les acteurs sont impeccables, il faut dire aussi que Joaquin Phoenix est "la" raison du film. Il est extraordinaire. Visage creusé, personnage blessé, enragé qui semble presque jouer une partition de sa propre vie, d'autant qu'il avait quitté les écrans il y a quelques années.

Alors… Est-ce l’histoire d’un homme qui ne veut pas être sauvé ? Est-ce l’histoire d’un autre homme qui doute avoir jamais cru à ses doctrines, refoulant sa tromperie vis-à-vis de tous ceux qui cherchent à le suivre ? Est-ce l’histoire de deux hommes qui se reconnaissent comme semblables mais se le cachent, l’un dominant l’autre ? Est-ce l’histoire d’une femme qui étend progressivement son pouvoir, jusqu’à régir les pensées de son mari ? Est-ce l’histoire…….
Pepito-Bleu
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le 25 janv. 2013

Modifiée

le 25 janv. 2013

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Pepito-Bleu

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